alambic charentais

  • B-A BA de la distillation à repasse

     

    Qu'est-ce que la distillation "à repasse" ? Résumé à l'intention des débutants.

    La saison de distillation hivernale est largement commencée dans nos campagnes (les distillateurs des villes, eux, n'ont pas de saison, mais c'est une autre question…), les ateliers publics et les syndicats communaux de distillation sont en pleine activité, c'est le moment d'expliquer un peu de technique aux nouveaux venus…

    Lors de démonstrations de distillation d'eau-de-vie, Je rencontre souvent des amateurs qui me posent des questions à propos de détails sur la distillation (quand enlève t-on les têtes ?, à quelle température - ou quel degré d'alcool - doit t-on arrêter la chauffe ? &c…). Je pense qu'il n'est pas inutile de proposer ce petit résumé des principes de ce type de distillation.

    0. D'abord, qu'est-ce que la distillation "à repasse" ?
    Il s'agit (que ceux qui ont lu mon livre me pardonnent les redites) de l'un des systèmes les plus simples pour distiller qui demande de renouveler l'opération 2 fois pour avoir une eau-de-vie "fine" (on espère…). C'est la distillation charentaise pratiquée à Cognac, et un peu partout dans le monde. Il peut s'agir d'alambic à feu nu (le feu chauffe directement au cul de la marmite), ou d'un bain-marie (une double paroi fermée contenant de l'eau - sous forme de vapeur - protège les fruits pour qu'ils n'y collent pas), ou même d'alambic à vapeur (de la vapeur est injectée dans la marmite pour chauffer la matière à distiller).
    Par ailleurs, certains bouilleurs ambulants considèrent que la colonne de rectification de leur système sophistiqué est une "repasse" puisque l'alcool repasse dedans. Il s'agit de terminologies personnelles et je leur laisse le terme, mais il ne s'applique pas à notre affaire aujourd'hui (voir § suivant).
    Si vous utilisez un alambic plus perfectionné équipé d'un rectificateur (colonne de rectification, lentille Deroy &c…), les instructions qui suivent vous concernent : il vous faut simplement zapper la première opération pour passer directement à la seconde chauffe : à la repasse proprement dite.
    Si vous utilisez un alambic à jet continu (courant pour l'Armagnac, certains Calvas &…), la méthode que je décris ne vous servira pas vraiment (mais vous pouvez rester avec nous).
    Vous avez repéré votre système d'alambic ?
    Ça devrait plus ou moins ressembler à ça (attention : sur la photo, il y en à 2) :
    Deux alambics charentais
    Ou même à ça (ça à l'air compliqué, mais cet alambic à bain-marie avec utilisation possible de la vapeur et son vase d'expansion suivi d'un second vase de reflux est un simple alambic à repasse, de 100 litres) :
    rimg0021.jpg
    Ps. Vous aurez compris qu'il s'agit de distillation d'alcool, et non d'huiles essentielles. La distillation des HE connaît aussi un procédé de repasse qui s'apparente plus à la cohobation des alchimistes, mais il ne s'agit pas du tout de cela dans cet article (voir "l'Alambic", p.228 et suiv.)

    1. Donc, commençons la cuite (ne riez pas, cuite est un terme technique du jargon des bouilleurs de cru et désigne la cuisson) :
    Vos fruits sont prêts à être distillés (c'est-à-dire qu'ils ont fermenté, le sucre a été transformé en alcool), ils sont déjà dans la marmite en cuivre, le feu peut être allumé…
    Nous allons distiller 2 fois : la première fois, il s'agit d'extraire tout l'alcool, avec de l'eau que l'on enlèvera ensuite.
    Ce n'est pas maintenant qu'il faut penser aux têtes et aux queues : on garde tout ce qui vient depuis le début de la coulée jusqu'à ce que l'alcoomètre indique environ 15 % (ou bien, si vous n'avez pas d'alcoomètre, vous pouvez arrêter quand un fond de verre du distillat versé sur le chapiteau - donc chaud - ne s'enflamme plus devant la flamme du briquet).
    Votre premier distillat, la petite eau titre entre 25 et 50 % selon la matière première, l'appareil, et votre technique. Il peut être trouble, d'où son autre nom de brouilli (dans l'Est, on l'appelle encore les imparfaits), mais quand il est clair, et fort, c'est mieux.La première passe est terminée : vous pouvez nettoyer votre marmite et la remplir à nouveau avec votre petite eau pour repasser.

    Vous vous posez peut-être la question suivante : est-il vraiment nécessaire de repasser un distillat de première chauffe qui titre 50° (et dont on a pu enlever les têtes et les queues) ? Je répondrais que oui, il est utile de faire une repasse, simplement parce qu'il n'est pas possible d'enlever les têtes et les queues correctement à la première passe. Le degré alcoolique élevé n'est pas un gage suffisant pour faire une bonne eau-de-vie, vous pouvez donc passer au chapitre suivant.

    2. C'est maintenant que l'on va pouvoir affiner notre eau-de-vie. Cette seconde distillation va nous permettre d'éliminer les mauvais alcools en têtes et en queues, et un excès d'eau pour ne garder que le cœur, pur et fort (dit comme ça, on va se prendre pour des héros !) que l'on rendra buvable par le réglage (c'est-à-dire que l'on va y rajouter de l'eau pour baisser le degré).
    La chauffe est conduite prudemment, les premières gouttes apparaissent : ce sont les têtes. Ces têtes se reconnaissent à leur odeur fade et puante d'alcool à brûler (ce qui est d'ailleurs leur destination, j'en reparlerai ici plus tard). Elles peuvent représenter 10 % de l'alcool total selon les matières premières et la qualité de la fermentation. Il faut les séparer, sans regrets. On appelle ça gentiment couper les têtes. Le principal alcool de tête est le célèbre méthanol qui n'est pas très bon pour le cerveau et le nerf optique…
    Le cœur qui suit se reconnaît à son odeur fruitée (selon votre moût de départ - c'est-à-dire vos fruits), on le garde évidemment, peut-être avec la fin des têtes, celles qui restent encore après l'apparition du cœur, c'est au jugé de chacun. Ce cœur contient entre 70 et 80 % de l'alcool total - plus ou moins selon les cas - et titre dans les 70 à 80 % d'alcool, principalement éthylique (l'éthanol).
    On reconnaît la fin du cœur et l'arrivée des queues au goût amer et gras du distillat de queue. Là encore, il y a une petite période frontière entre ces deux dernières parties, il convient à chacun de choisir le moment pour la coupe et arrêter la distillation (il n'est pas très utile de distiller les queues).
    Je ne recommande pas l'utilisation de l'alcoomètre pour faire les coupes : le degré diffère vraiment selon les fruits, les appareils, et la puissance de la chauffe (par exemple, en chauffant très doucement, on peut passer toutes les queues à plus de 75 %…). La pratique et les sens guideront.

    Certains distillateurs incorporent les têtes et les queues dans le moût suivant, ce qui permet d'avoir moins de pertes de cœur (éthanol), mais augmente la proportion de têtes et de queues (le méthanol ne se transmutera pas en éthanol…). Je pratique parfois cette technique.

    Vous avez réalisé votre cuisson, et sa repasse, il ne vous reste plus qu'à préparer l'élevage (pour les eaux-de-vie ambrées, boisées), ou le réglage à l'eau (pour les eaux-de-vie blanches), nous en parlerons plus tard.

    Pour finir, un extrait de mon livre :
    La-Distillation-Illustree-1.jpgLa-Distillation-Illustree-2.jpg

    Enfin, un lien vers l'excellentissime distillerie Metté de Ribeauvillé qui distille de cette façon et qui l'explique sans mystères : www.distillerie-mette.com/