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  • Lettre à un jeune distillateur

    À un jeune distillateur

    « Il ne faut pas mélanger les grands-ducs et les bois-sans-soif. Oui monsieur, les princes de la cuite. Ceux avec lesquels tu as bu le coup des fois mais qui ont toujours fait verre à part. Ils sont à cent mille verres de vous. Sur leur caravelle, sur leurs tapis volants, ils tutoient les anges. »
    Audiard, Un singe en Hiver, 1962.

    D’abord merci pour les échantillons de tes premiers distillats que j’ai reçu l’autre jour. Cinq essais que j’ai pris le temps de déguster.

    Il n’y a pas de défaut particulier dans ces travaux, ça te rassurera sans doute : on est dans une époque où l’on a peur de mal faire : peur d’être pris en défaut et peur d’empoisonner les clients (encore que je crois que cette dernière peur est plutôt une posture qu’une réelle attention dans bien des cas). Donc, de ce côté-là, pas de problèmes : c’est propre.

    Je vais détailler ailleurs chaque flacon, mais je voudrais commencer par développer un aspect qui, je crois, manque dans ces échantillons. Je ne dis pas que tu n’as pas cette attention, je ne te connais pas, mais en tous cas, les échantillons que tu m’as envoyés n’ont pas ce caractère essentiel qui répond à la question : Pourquoi boit-on ?

    Le buveur moderne, un peu branché, dira qu’il aime découvrir les arômes des gins ou des whiskies qu’il collectionne. Il aime classer les arôme selon les critères du moment : les « botaniques » chez les gins &c… En fait, il collectionne. C’est ludique, récréatif.
    Pour ce marché, ce sont les gins, whiskies, voire vodka, qu’il faut viser. Les Chartreuses peuvent faire partie de ce genre de public, avec plus de profondeur toutefois. Le problème de la Chartreuse, s’est qu’elle est maintenant très chère et qu’il n’y a qu’un fabricant (pas de comparaison ni de choix possible). Avec la Chartreuse, on est dans un monde aristocratique pré-révolutionnaire, ce qui ne correspond pas forcément avec l’esprit moderne, urbain, libéral et mondialiste dans lequel évolue le buveur de gin moderne (Je développerai plus tard pourquoi je dis que le Gin est un alcool moderne, urbain, libéral, et mondialiste). J’ai l’impression que tes flacons cherchent à s’intégrer dans ce courant.
    Ce courant des alcools modernes comme les gins, whiskies &c… (Ces alcools sont anciens, mais ils savent s’intégrer dans ce monde moderne, libéral et récréatif) sont majoritaires dans la consommation de l’alcool aujourd’hui. Ces alcools, aujourd’hui, sont considérés comme des drogues (dans le même sens que le tabac, l’héroïne ou le crack) et la politique lutte, ou fait semblant de lutter, contre sa consommation. Les droits indirects (c’est-à-dire les taxes sur le tabac, l’alcool, et les jeux) sont normalement destinés à cette lutte (en réalité, ils servent surtout à payer les contrôleurs -les douanes- dont le sens de leur travail pourrait de ce fait être remis en question…).
    Cette situation, l’alcool-drogue a débuté avec une loi de Napoléon qui créé un statut spécial pour les médicaments qui sépare le métier de pharmacien des parfumeurs et des liquoristes (1802). Avant cette loi, le liquoriste-distillateur préparait aussi des remèdes et des parfums. Il faisait des distillats qui servaient autant à la santé qu’au bien-être et à la convivialité. Aujourd’hui, tu as celui qui fait la biture (le distillateur), celui qui fait l’apparence (le parfumeur), et celui qui prétend réparer les dégâts des deux premiers : le pharmacien. En réalité, c’est la création du métier spécifique de la pharmacie qui a enlevé aux deux autres la connaissance de la santé dans la liquoristerie et la parfumerie.
    La Chartreuse dont je parlais précédemment est au départ un remède autant qu’un aliment. C’est une recette élaborée dans la tradition d’avant 1802.

    Mais ces questions ne t’intéressent peut-être pas d’abord, toi qui découvres la distillation des spiritueux et qui a peut-être quelques inquiétudes sur le positionnement de ta future start-up sur le marché ?
    Alors, il te faut quand-même savoir que je ne suis pas compétent pour parler des produits d’appels, des techniques de marketing et de la com. Je ne sais pas non-plus dire que tel ou tel spiritueux va marcher, que tel ou tel est dans les clous de la législation &c… Je n’ai aucun intérêt pour ce genre de chose qui à mon avis appartiennent à une société décadente qui va survivre encore quelques années sous perfusion avant d’être mise en terre pour le plus grand bien de la planète et de l’humanité.
    Non, ce qui compte pour moi, c’est l’esprit. Ce qui compte, c’est que lorsque tu bois ton alcool, ton corps est fort, ton esprit s’illumine, et tu sais que c’est bon pour toi. Tu sais que ça a un sens, que la vie a un sens, et ça te donne l’espoir et le courage. Ce n’est pas juste un alcool récréatif et superficiel pour oublier un instant que la vie moderne n’a pas de sens… Ce n’est pas forcément un instant grandiose ! Cela peut jouer pendant une partie de cartes avec ses amis… Cela peut inspirer un poète, mais aussi accompagner une vie simple et discrète. Un spiritueux doit amener un sentiment sublime.

    Il y a deux éléments pour produire cela : l’alcool, et les plantes éventuelles que l’on ajoute.

    L’alcool n’est pas une simple molécule d’éthanol. Pour les alchimistes, l’alcool est le principe vital qui s’est coagulé pendant la fermentation des fruits. Chaque fruit (raisin, canne, ainsi que les grains et les tubercules…) a des caractéristiques que l’on ne connait pas encore bien et leurs molécules d’éthanol respectives ne vont pas provoquer la même ivresse. L’origine agricole des fruits produira également des effets très différents (culture intensive ou au contraire micro-ferme en bio-dynamie par exemple) De plus, la méthode de distillation (pression ou pas, cuivre ou inox &c…) ne permet pas la même dynamique de la molécule (sens giratoire, énergie &c…). Enfin, la magie de la personnalité du distillateur, son âme, aura une influence déterminante à défaut d’être quantifiable (mais elle est reconnaissable).

    Donc, si tu es un adepte de l’alcool industriel, voire de l’utilisation de vodkas &c… bon marché, je ne peux pas te suivre : tes travaux pourront être bien fait, ils n’auront pour moi aucun intérêt (et c’est le cas des tiens, mais maintenant, tu pourras décider de ce que tu veux faire : être bon, ou être unique comme tu es unique de toutes façon !).

    L’autre paramètre est les plantes utilisées, s’il s’agit d’alcools de plantes : gins, vodkas, absinthes &c…
    Ces plantes ne sont pas ajoutées simplement pour leur goût, comme un repas n’est pas composé simplement pour créer un tableau pour le palais : le repas, même gastronomique, sert d’abord à entretenir la santé. De même, les plantes, avant d’être aromatiques, sont avant tout médicinales. Il faut avoir quelques notions d’herboristerie pour faire des bouquets heureux pour le corps. Un pastis n’a pas le même rôle qu’un gin ou une Chartreuse… Il y a des plantes apéritives, d’autres digestives, d’autres encore dépuratives, toniques &c… À mon avis, lorsque l’on démarre une distillerie de gin, absinthe ou autres, il est important de cultiver un minimum les plantes que l’on utilise. Même si c’est quelques mètres carrés, juste pour des essais, des tisanes et la cuisine, cela permettra de mieux les connaître. Ensuite, tu développeras un style plus personnel pour tes recettes et tu sauras mieux choisir tes fournisseurs.

    Et la technique ? Le feu, les coupes &c… Ces choses dont on parle souvent sont importantes, mais facile à acquérir. De plus, elles ne sont pas si importantes qu’on le dit. Il est rare qu’on reproche à une Chartreuse d’avant-guerre ou à une Bénédictine du XIX° siècle son taux de méthanol… Par contre, il est clair que ces alcools anciens bénéficient tous de distillations artisanales (et non industrielles) faites à partir de matières premières issues de micro-fermes (et non de programmes agricoles standardisés organisés par des bureaucrates à l’échelle nationale). Ça fait une grosse différence…

    Pour conclure, la technique ? c’est simple et secondaire. Il faut juste pouvoir justifier devant les contrôleurs et les journalistes d’un savoir-faire béton, mais ce n’est pas le plus important.
    Le plus important est de savoir que tu peux faire des spiritueux qui ont un Esprit puissant qui fera du bien au buveur. Des spiritueux qui seront bénéfiques pour son esprit et pour son corps. Il saura les boire sans « modération » : juste la bonne dose qui fait que le remède ne se transforme pas en poison.
    Le plus important, c’est de savoir que tu peux faire ça, et de savoir ce que tu veux faire avec ça.
    Si tu comprends ça, tes clients te raconteront les belles soirées qu’ils ont passés avec tes distillats.

    Un jour au bar de mon village, un voisin vient se mettre au zinc à côté de moi et m’a dit « Matthieu, ton absinthe, elle est bonne, elle ne fait pas mal à la tête, et en fin de soirée, les discussions deviennent plus intéressantes ».
    Merci voisin ! il y a tout dans ta phrase : le bon goût, la bonne santé, et la bonne ivresse… (vous pouvez remettre dans l’ordre d’importance : 1. ivresse, 2. santé, 3. goût).

    Je t’ai saoulé ? Tu voulais juste avoir un rapport de dégustation ?
    Le voilà, mais c’est secondaire : Tu sais distiller, ce n’est pas difficile. Maintenant, il te reste à trouver ce que tu veux offrir à la société avec tes spiritueux, et te donner les moyens (courage) de le faire.

    (Le rapport de dégustation proprement-dit suit dans un courrier séparé)

    Matthieu Frécon, Sarreyer, Octobre 2024

  • L'Alcool-remède

    L’Alcool-remède

    Une conversation récente du laboratoire cantonal service cosmétiques (Suisse), c’est à dire la police des producteurs cosmétiques, me suggère quelques réflexions sur mon métier de paysan-distillateur-herboriste (1).

    Mon travail tourne autour des bienfaits des plantes. Toutes sortes de bienfaits :  la santé, qui commence avec l’alimentation, et la joie et le bien-être : cela concerne l’ivresse et la « spiritualité », c’est-à-dire le contact entre la nature et sa nature.

    Je cultive et récolte les plantes sauvages, et je les transforme pour les conserver toute l’année ou pour mettre en valeur certaines de leurs propriétés. Je fais donc des aliments/compléments alimentaires comme le vinaigre des 4 voleurs ou de vrais aliments (choucroute, pestos, sirops…) pour les fêtes à la distillerie. Je fais aussi d’autres aliments traditionnellement plus axés sur la santé comme l’élixir du suédois et sa thériaque, des alcoolatures de propolis ou autres, des hydrolats (Eau de rose…). Ces flacons ont encore un certain lien avec l’alimentation. Enfin, je distille des spiritueux. Ces spiritueux sont clairement considérés par la société, ou par l’administration plutôt ce qui est très différent, comme des produits récréatifs, et parfois comme des drogues (dans le sens de la cocaïne, pas dans le sens qu’ils sont vendus en droguerie… et pourtant…).
    En fait, ces différents flacons viennent du même endroit, la terre, et ont le même but : vivre bien, joyeusement et en bonne santé.
    Et c’est pour répondre à ce besoin d’entretenir la joie et la santé qu’on les a créé. Et ce sont les mêmes personnes qui les ont développées. Les paysans d’abords, avec les mamans qui ont créées des recettes pour leurs maisonnées (oui, les hommes aussi ont aussi participé… et ils participeront de plus en plus avec le temps). Et puis avec la spécialisation, on a vu des apothicaires et médecins spécialisés dans la préparation médicinale, délaissant progressivement les remèdes de bonnes-femmes. Et puis on a essayé d’ajouter le plaisir aux propriétés médicinales. Et on a crée les liqueurs et autres spiritueux médicinaux indispensables à l’entretien de la santé, et de la joie (être joyeux c’est avec « avoir de l’esprit »). En fait, jusqu’à une époque très récente qui commence avec le débarquement du Coca-cola et du chewing-gum (qui étaient à l’origine deux médicaments) en Normandie en 44, les alcools et beaucoup d’autres préparations de la ferme qui étaient intimement liées à l’entretien de la santé ont du céder le pas au progrès que l’on n’arrête pas. C’est l’industrie agro-alimentaire et la disparition de l’autonomie rurale (les petites fermes familiales) qui a rendu l’alimentation impropre à la santé et avec, qui a favorisé le développement de l’industrie pharmaceutique (dont j’oserai dire qu’il a également rendu la pharmacie et la médecine impropre à l’entretien de la santé).
    C’est donc la disparition de la tradition de l’alcool-remède qui a favorisé la dégradation de la santé.
    À ce stade, certains pensent que j’exagère et je leur accorde : il y a d’autres facteurs et il y a aussi des points positifs dans cette évolution, mais cela n’enlève rien au fait que la disparition de l’alcool-remède a favorisé la dégradation de la santé.

    C’était le premier point.

    Maintenant, où en sommes-nous ?

    Aujourd’hui, l’alimentation est très contrôlée et favorise nettement une production industrielle, ou au moins très spécialisée. Une petite ferme qui produit un peu de tout, y compris des aliments cosmétiques (par exemple eau de rose) ou des spiritueux, ou des tisanes, baumes réparateurs &c… est ingérable et l’administration d’une telle structure dépasse de beaucoup le travail réel aux champs ou au labo.
    Du côté de la pharmacie, c’est encore pire : tout ce qui touche explicitement à la santé est exclusivement réservé à l’industrie pharmaceutique. Les règles des organismes de contrôle sont telles qu’il est non seulement matériellement impossible à une petite structure agricole de faire des remèdes mais il y encore pire : ces règles empêchent purement et simplement la fabrication correcte et efficace de ces remèdes traditionnels. Autrement dit, les règles actuelles pour la tenue d’un laboratoire pharmaceutique interdisent les procédés efficaces pour des recettes qui ont plus d’un siècle.
    J’exagère encore ? Oui, un peu, et je reconnais aussi que la pharmacie moderne a créée des remèdes extraordinaires et salvateurs, mais cela n’enlève rien au fait qu’aujourd’hui ni l’alimentation ni la pharmacie modernes ne suffisent pour rester en bonne santé, et ce, au détriment de l’alimentation et de la pharmacie traditionnelles.

    Arre ter la goutte

    Que faire ? Noyer son chagrin dans l’alcool ?

    On est aujourd’hui clairement arrivé à point de crise et il est nécessaire de réfléchir à cette situation. Le renouveau de l’herboristerie, l’enseignement de l’agriculture biologique dans des micros-fermes, la création de statuts marginaux comme ceux de paysans-boulanger ou de paysan-herboriste est un retour à ce « bon sens paysan » d’avant-guerre. Et puis, depuis une quinzaine d’années, le retour des micros-distilleries nous donne confiance (Vive l’alambic !) dans le bonne direction que l’on prend maintenant.

    Qu’est-ce qu’un spiritueux finalement ?

    À l’origine donc, ainsi que je l’ai décrit brièvement plus haut, un spiritueux est une production agricole qui sert à entretenir une bonne santé et un joyeux moral. Les alcools de fruits ont des propriétés médicinales et sociales importantes, tout le monde le sait. Il faut qu’ils soient bien distillés et les artisans distillateurs du XXI° siècle commencent à vraiment bien connaître leur métier. Les alcools de plantes eux, viennent d’un monde ancien qui connaissait les plantes médicinales mieux que quiconque aujourd’hui. Une vrai connaissance reste à retrouver. Un « apéritif », ou un « digestif » est composé de plantes qui vont favoriser ces fonctions et le distillateur doit être aussi au moins un peu herboriste. La composition d’une recette doit prendre en compte le but recherché et les plantes sont choisies en fonction de leurs propriétés. Les plantes vont agir et interagir les unes avec les autres dans une synergie savante. L’étude de la polypharmacie par exemple est une bonne façon d’aborder la construction d’une recette. Je ferai un article sur ce sujet plus simple qu’il n’y parait. Des recettes complexes comme les arquebuses (dont la célèbre liqueur des Chartreux est probablement le plus bel exemple) sont savamment construites. Ce sera dans les anciens traités de pharmacie que l’on trouvera les éléments de cette science. Cet art commence avec la tradition de la formulation qui nait avec les recettes comme la Thériaque qui a plus de 2 000 ans… La Thériaque reste le modèle du genre : entre 40 et 160 ingrédients dont chacun a un rôle à jouer. C’est une sorte d’orchestre symphonique avec ses pupîtres d’instruments équilibrés capable d’exprimer ce qu’aucun soliste (les simples de l’herboristerie) ne saurait faire (ce qui n’enlève rien à la médecine des simples qui garde tout son intérêt par ailleurs).

    Qu’est-ce qu’une liqueur de plantes donc ?
    C’est une synergie puissante pour entretenir ou restaurer la santé et la joie. Chaque recette a son rôle : une Arquebuse n’aura pas le même effet qu’une Eau de Mélisse, mais les deux sont des outils importants pour une vie saine et heureuse.

    Comment fait-on une recette ?
    Il y a plusieurs réponses, plusieurs façons d’aborder la question. Pour l’heure et pour rester dans notre sujet, je dirai que l’étude de l’herboristerie moderne en plus de celle des recettes anciennes (du XVII° et XVIII° siècles pour commencer) est une excellente école. Il y a des grandes recettes : Eau de la Reine de Hongrie et Eau de Cologne, Eau d’arquebuse, Eau de Mélisse, les Anisés (dont les anisés-amers comme l’absinthe) &… Plus tard, on aura des recettes du XIX° comme la Bénédictine (qui reste une excellente recette) et qui ont, à mon avis, perdu le sens médicinal et la connaissance antique de l’art de guérir en liquoristerie. Ces boissons sont dorénavant plus esthétiques, plus récréatives.
    En fait, c’est avec la règlementation sur les médicaments par Napoléon en 1802 que les spiritueux quittent le domaine de la santé. Déjà une nuisance de l’administration…

    D’une façon pratique, la copie et l’inspiration des grandes recettes classiques est un bon moyen de comprendre l’effet des plantes sur la santé en liquoristerie.

    Comment j’ai fait mon Eau de Mélisse ?
    J’ai étudié et copié les recettes classiques (de Baumé à la fin du XVII° s., Lémery au XVIII°, à Dorvault au XIX°), testé leurs goûts et leurs effets. Cela m’a fait comprendre l’utilisation de certaines plantes peu utilisées en liquoristerie ou même en herboristerie modernes. J’ai ajouté les plantes qui me semblaient utiles que je connais déjà, et j’ai équilibré les proportions de façon à avoir un goût et un effet optimal. Je me retrouve avec une recette composée de 27 plantes et environ 30 gr. de plantes par litre (ce qui est énorme aujourd’hui). L’effet est principalement dirigé vers le système nerveux (apaisant et digestif). La mélisse est digestive à partir de son action sur le cerveau/système nerveux et non à partir d’une action sur les organes du système digestif (foie, vésicule biliaire, estomac). L’effet est donc digestif, apaisant, et intellectuellement stimulant. Et le goût ? Le goût est délicieux, puissant et équilibré, d’autant que le l’organisme du buveur comprend tout de suite que ce digestif lui est bénéfique. C’est lui (le corps) tout autant que les goûts personnels du buveur qui lui feront apprécier le petit verre !

    Une Eau D’Arquebuse ou une Absinthe ne fonctionneront pas du tout de la même façon…

    Un spiritueux, définitivement, est une médecine importante et le distillateur-liquoriste le sait.
    Il reste à pouvoir le revendiquer, ce sera mieux !

    Post-Spiritum
    Je dois rappeler que ces alcools de plantes sont composés de plantes aromatiques et médicinales, c’est le sujet de cet article, et d’un élément tout aussi important qui est l’alcool qui les embrasse. J’ai déjà parlé ailleurs de l’importance de l’alcool utilisé et que l’on néglige aujourd’hui en pensant que c’est un simple excipient. C’est faux, l’alcool (esprit de vin ou autre), son origine et sa méthode de distillation sont des éléments majeurs pour faire des spiritueux efficaces au niveau des goût et à de la santé. Je vous invite à vous reporter aux articles sur « l’alcool neutre » déjà publiés sur ce blog.

    Santé !

    Matthieu Frécon, Sarreyer, Octobre 2024

    (1) apprenti-herboriste en ce qui me concerne…

  • Devenez distillateur ! Programme des stages

    Devenez Distillateur !
    Programme 2024 des stages pratique de distillations spiritueux
    (France - Suisse)


    Matthieu distillation 2023 2Cela fait maintenant plus de 12 ans que je donne des stages pratiques pour devenir distillateur alcool, amateur ou professionnel. Des centaines de personnes ont suivis ces stages de 2 jours et plusieurs dizaines d’artisans distillateurs ont démarré leur distillerie avec moi. J’ai assuré le suivi de nombres d'entre eux dont certains sont actuellement également formateurs.

    Après avoir tenu Atelier Public en Côte d’Or, puis dans l’Hérault (Montpeyroux, Faugères) depuis 1998, je suis installé en Valais (Suisse) depuis 2016 où je me suis spécialisé dans les eaux-de-vie de plantes, principalement l'absinthe, mais également gin, pastis, arquebuse, suédois/thériaque &c… Une bonne part de mon travail et de mes recherches actuels est tournée vers les plantes aromatiques et médicinales (PPAM), culture, herboristerie, et distillation. J’enseigne la spagyrie (alchimie végétale et médicinale) dans différentes écoles d'herboristerie, de naturopathie, ou des lycées agricoles en Suisse ou en France.

    Cette année, après avoir fait de longues recherches sur les recettes anciennes (Eau de la Reine de Hongrie, Arquebuse, Chartreuse…), j'ai décidé de modifier le programme de ma formation de distillation spiritueux pour ajouter les connaissances des liquoristes de la Renaissance à la Belle Époque, voire faire des incursions dans l'Antiquité (Thériaque et recettes de la Grèce Antique).
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    Je vous présente le nouveau programme (très dense) de ce stage de deux jours…

    Le premier jour se passe autour d'un alambic traditionnel en cuivre et à repasse. dessin-de-fanny-mazet.jpg

    Matin : Distillation de vin. « Cuite » (première passe) du vin. Qualités et défauts d’un vin à distiller. Les différents types d’alambics et lequel choisir. Théorie de la distillation à repasse ou à colonne. Théorie de la fermentation alcoolique. Pratique de la fermentation naturelle et de la distillation des différents fruits.

    Après-Midi : « Repasse » du brouilli (la première distillation) du matin. Comment faire ses coupes (têtes et queues) en pratique ? Pratique de la macération (petits fruits, plantes). Spiritueux et liqueurs de plantes aromatiques. Construction des recettes médiévales/Renaissance. Les grandes familles : Gin/vodka/Aquavit, Anisés méditerranéens (Pastis/Absinthes), Arquebuses, Chartreuse &c… Préparation d’une Eau de Mélisse des Carmes ou d’une Arquebuse (sélection des plantes, pesage, broyage, mise en macération/percolation).

    Soir : Dégustation d’eaux-de-vie blanches. Technique de dégustation. Détection des défauts de fabrication. Appréciation et introduction à l’étude de l’ivresse. Les participants sont encouragés à apporter leurs propres eaux-de-vie. Dégustations d’Eaux-de-vie de maîtres.

    Le second jour se passe au laboratoire, avec un alambic d’essai.

    Matin : Distillation d’un hydrolat (lavande, mélisse…). Présentation sur la distillation des plantes aromatiques et médicinales, huiles essentielles et hydrolats.  Comment s’installer légalement comme artisan ou amateur ? Comment ouvrir une micro-distillerie, ou un syndicat de Bouilleur de crus ? Distillation (alcoolique) de l’Eau de Mélisse, ou de l’Arquebuse selon la préparation de la veille, avec dégustation. Pratique de la fermentation/distillation des fruits exotiques. Pratique de la fermentation/distillation des grains (saccharification).

    Midi : Dégustation d’une Absinthe (La Chandelle Verte). Histoire et mythe de la Fée Verte.

    Après-midi : Après la distillation : élevage et réglage des eaux-de-vie blanches ou élevées en fûts. Herboristerie et liquoristerie. Étude physiologique de l’ivresse. Relations entre l’herboristerie (médecine galénique) et l’hermétisme (distillation alchimique). Histoire de la Thériaque dans la médecine et dans la liquoristerie.
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    Les participants repartent avec un flacon de l’Eau de Mélisse ou l’Arquebuse distillée le second jour.

    • Pas de prérequis nécessaires : l’atelier est accessible à tous, mêmes débutants. Ils s’adresse aux (futurs) amateurs et aux (futurs) professionnels.
    • Les participants peuvent enregistrer le cours et prendre des notes.
    • Il est possible de poser de recontacter Matthieu par mail après le stage.

    Lieux de formations :
    En France : à la Distillerie Helvia (Ardèche)
    En Suisse : à la Distillerie de Bagnes (Edelweiss Distillerie), à Sarreyer (Valais).

    Les dates & lieux sont données dans l’agenda de ce site.

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  • Guy Richard nous a quitté

    Guy Richard nous a quittéGuy richard

    Guy a été le président de la Fédération Nationale des Syndicats de Bouilleurs de Crus (FNSRPE) de 1999 à 2020. Vous connaissez sans doute ces merveilleuses associations qui permettent aux Bouilleurs de Cru de distiller eux-même leurs eaux-de-vie en amateurs éclairés et dans une atmosphère collégiale et enthousiaste. Guy a été l’artisan de la loi de 2003 qui a autorisé la distillation amateur pour tous avec une remise de 50 % sur les taxes. Cette loi a été un élément important dans le renouveau de la distillation amateur, et à la suite, artisanale que l’on connait aujourd’hui. Guy a beaucoup œuvré à l’évolution de la distillation à l’alambic, avec en même temps une profonde connaissance de la tradition. J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec lui pour la perpétuation de cette tradition ancestrale et toujours actuelle.

    Guy était alsacien. Cette magnifique région a un régime un peu particulier au niveau de la distillation : les bouilleurs de crus ont le droit de distiller eux-même leurs fruits chez eux avec leur propre alambic, ce que Pétain avait supprimé en 1941 en France. Cette possibilité de distiller soi-même en amateur a permis le développement et l’évolution de cette tradition, et les alsaciens et mosellois comptent parmi les meilleurs distillateurs du pays. La législation est finalement extrêmement importante pour la vie des traditions populaires et il serait merveilleux que tous les bouilleurs de cru en France puissent profiter d’une telle possibilité. Guy, dans ce cadre a été un acteur important de la tradition.

    Pourquoi est-ce qu’un distillateur professionnel tel que moi est-il si attaché à la tradition des Bouilleurs de Cru ?
    Mais parce que ce sont les amateurs qui sont à l’origine des artisans, et leur tradition anime toujours la pratique artisanale. Sans amateurs, les artisans disparaîtraient au bénéfice de l’industrie. Sans la Goutte des Bouilleurs de Cru, les spiritueux perdent leur âme et deviennent de simples produits, sans esprit.
    L’âme de l’eau-de-vie artisanale dépend de l’existence de cette tradition d’amateurs et les Syndicats communaux sont un extraordinaire support pour cette tradition. La FNSRPE  fédère et soutien ces syndicats, et tous les amateurs, ainsi que les artisans (la FNSRPE travaille avec le Syndicat des Distilleries Indépendantes - Association SDI). Guy a été un acteur important dans la vie de la FNSRPE.
    Cette fédération est actuellement présidée par Jean-Charles Chéritat qui continue brillamment le travail qu’a fait Guy pendant 21 ans. Les membres sont toujours aussi nombreux et des nouveaux viennent sans cesse rajeunir notre tradition qui n’est pas près de s’éteindre !

    C’est ainsi que Guy Richard ne s’est pas vraiment éteint !
    Merci Guy  pour ton excellent travail !

    Matthieu Frécon, Sarreyer Avril 2024

    Merci à Jean-Charles Chéritat pour la photo

  • 49.3 % vol. Le nouveau régime des Bouilleurs de Crus !

    49.3 % vol. le nouveau régime des Bouilleurs de Crus !

    Matthieu distille a sarreyer

    Les bonnes nouvelles de la Fédération des syndicats de bouilleurs de crus (FNSRPE) :

    Comme le gouvernement l'avait promis dans son projet de loi de finances 2024, les bouilleurs de cru sont exonérés des droits d'accise sur les alcools à hauteur de 50 LAP* pour la campagne 2024 et par ménage de fruiticulteurs.

    Si vous n'êtes pas sûr d'avoir bien compris, ça veut dire que les bouilleurs de crus (les distillateurs amateurs) n'ont plus de taxes à payer jusqu'à 50 litres d'alcool pur par an (100 litres de gnôle) ! Autrement dit, fini les taxes ! C'est gratuit !

    Champagne !!!

    ps. Perso, j'en ai un peu marre de travailler pour l'argent. Je crois que je vais devenir bouilleur de cru. Moins réaliste selon certains, mais avec mes 100 litres de schnapps, j'ai de bonnes raisons de penser que je vais tenir le coup ! Je vous dirai !

    pps. Il faut peut-être préciser que c'est pour la France, et l'Europe. La Suisse, elle, reste à 29,- CHF le lap pour les pros, et un peu moins pour les amateurs. Cette fois, le retard est regrettable…

    ppps. Ah oui ! Comment cette loi a-t'elle pu passer ? Et bien, si j'ai bien compris, c'est grâce au dévouement de notre première ministre qui aurait invoqué tout spécialement pour nous le 49.3… Merci encore madame ! En votre honneur, je suggère que 49,3 soit le nouveau réglage officiel pour les eaux-de-vie distillées sous ce régime ! Cuvée spéciale 2024 à 49.3 % vol. !

    Youpi ! Ça va remonter le niveau !!!

    Matthieu

  • Tante Faustine et l'Absinthe par Myriam Grange

    Tante Faustine et l’Absinthe C1 tante faustine

    Un livre/mémoire par Myriam Grange sur son arrière-grand tante, Faustine, femme libre du début du XX° siècle qui faisait commerce d’absinthe en Valais…
    Myriam Grange a recueilli les souvenirs familiaux pour retracer l’histoire de cette aïeule qui récoltait les absinthes valaisannes, y compris la discrète Artemisia Valesiaca, petite sœur dans la grande famille des absinthes et qui faisait déjà partie des recettes de la belle époque (chez Morand à Martigny par exemple).
    Myriam Grange n’a pas fait que retracer l’histoire de cette figure de la famille, elle a aussi et surtout capté l’âme de l’absinthe, l’âme de Faustine, autrement-dit l’âme d’Artemis, la fille de Zeus et notre véritable Fée Verte…
    Un très beau livre qui nous fait découvrir la puissance de cette plante et de cette boisson emblématique de la belle-époque, cette boisson si longtemps recherchée, si fortement combattue et si vaillamment protégée qui nous est chère.

    96 pages superbement écrites et magnifiquement illustrée. Indispensable pour tout amateur d’absinthe. C’est en fait un guide qui nous raconte qui est véritablement la Fée Verte. Unique en son genre, c’est le livre qui manquait aux artemisophiles et aux buveurs de qualité…

    Entrelignes, Tante Faustine & l’Absinthe, éditions Bulles de Joie.
    96 pages illustrées, 22,- CHF ; tirage relié main : 36,- CHF chez l’auteure sur www.tantefaustine.ch

    Petite note personnelle… Avant que de m’installer à Sarreyer, en Valais donc, pour y distiller cette plante endémique de la région (connaissez-vous la Chandelle Verte de Edelweiss Distillerie ?), j’étais venu en éclaireur découvrir quelques lieux de choix en Suisse. C’est lors de la visite d’une ferme à louer à Fully (Valais toujours) que j’ai senti, dans un ravin, une absinthe extraordinaire, délicate, mentholée, intrigante… Le micro-climat de Fully qui permet la culture de plantes exotiques était parfait pour les absinthes sauvages de cette partie septentrionale de son aire géographique naturelle…
    À quelques kilomètres de là, mes absinthes (toujours sauvages) ont une puissance et un caractère exceptionnels qui me comble, mais je dois reconnaître que Fully a un petit quelque chose d’inégalable et d’inoubliable… Fully, c’était le le village de Tante Faustine.

    Matthieu Frécon, Edelweiss Distillerie, Sarreyer

  • Plaidoyer pour la libération de l’Absinthe

    Plaidoyer pour la libération de l’Absinthe

    Et quoi ? ça y est non ? elle est autorisé l’absinthe maintenant non ?
    En effet, il a été finalement reconnu que la Fée Verte avait eu un mauvais procès au début du XX°, et il a donc été annulé au début du XXI°. Bravo.
    Alors quels sont les conséquences de cette mise en l’exil ?

    Reprenons un peu en amont…
    Ce n’est pas le sujet de cet article que de rappeler la spiritualité de l’absinthe (Dans le domaine des spiritueux, j’emploie facilement « spiritualité » à la place de « mythologie » : Artémis, la fée Viviane, Ste. Bibiane de Rome &c…), ni son importance consolatrice dans la société industrielle naissante. Je voudrais juste rappeler quelques points de son histoire, et les mettre en rapport avec notre façon de la définir aujourd’hui.

    L’absinthe, Artemisia Absinthium, est une plante historiquement importante dans la boisson, et particulièrement dans les boissons alcoolisées, ainsi que dans la pharmacopée. Ces deux domaines sont intimement liés dans l’histoire de la distillation, de la cuisine, et de la pharmacopée depuis leurs débuts dans l’Antiquité. On la trouve dans de nombreuses traditions méditerranéennes, car la grande absinthe est une plante méditerranéenne de montagne. La Méditerranée a toujours été en rapports étroits avec l’Orient et ses traditions culinaires et médicales. Les recettes utilisants les vertus médicinales de l’absinthe, dont des alcools, ont rapidement ajouté le complément naturel de l’absinthe au niveau de la digestion : l’anis vert. En effet, les amers tels que les absinthes ont une action apéritives et digestives par le foie et la vésicule biliaire alors que les anisés (anis vert, badiane, fenouil &c…) agissent plutôt sur l’estomac. Foie, vésicule biliaire, et estomac sont évidemment en relation et l’action de l’un agit sur l’autre. L’association des deux est salutaire au niveau médicinal et il est aisé de jouer sur leur complémentarité. Sur le plan aromatique, l’association des amers du type absinthe et des anisés n’est pas si facile et il est rare de trouver une recette qui offre un bon équilibre entre les deux. En général, l’un domine sur l’autre. Autrefois, les amers étaient plus appréciés qu’aujourd’hui, mais depuis l’introduction du chewing-gum et autres douceurs sucrées de notre société moderne, le palais craint l’amer et l’anis est maintenant presque toujours dominant. Il existe encore pourtant aujourd’hui un souvenir de l’amertume de notre belle plante dans beaucoup d’anisés méditerranéens tels certains ouzos et autres anisettes qui contiennent un soupçon d’Artemisia pour donner la profondeur due à cette grande tradition de spiritueux médicinaux (apéritif et digestif sont des termes médicinaux).
    Il existe une autre piste qui nous rappelle la présence de l’absinthe dans la liquoristerie et qui a contribué à la naissance de l’Absinthe telle qu'on la connut aux XVIII° et XIX° siècles, et depuis son retour au XXI° siècle. Ce sont les liqueurs de la famille des Chartreuses, Arquebuses &c… Je reviendrai dans un futur article sur cette tradition de liqueurs médiévales qui se développeront au XVII° siècle.
    Ces liqueurs (Chartreuse &c…), spiritueux souvent sucrés aujourd’hui mais cela n’a pas toujours été le cas, sont finalement très proches de ce qui deviendra notre Fée Verte. Ils ont un bouquet souvent très riche qui n’est pas construit sur le modèle classique des spiritueux faits d’une plante principale mise en valeur par d’autres plantes secondaires (tels que les modernes spiritueux : pastis, gins, absinthes…) mais ils sont construits sur une synergie complexe aromatique et médicinale. C’est en fait un microcosme en bouteille, une représentation de la nature dans toute sa richesse. Ces recettes contiennent toujours de l’absinthe et ses sœurs botaniques (petite absinthe, c’est l’armoise pontique, de l’arquebuse, c’est l’aurone, ainsi que d’autres : armoise vulgaire, génépi &c…). Si l’on en juge par leur popularité, ces recettes ont forcément eu une influence sur l’évolution de ce que l’on va appeler bientôt l’« Absinthe », notre Fée Verte.

    Alors d’ou vient notre absinthe moderne ? Quel est son blason ?
    L’absinthe qui s’est développé d’une façon très particulière au milieu du XVIII° siècle, particulièrement en France et en Suisse, et plus particulièrement encore dans les deux Juras, est la fille d’une longue tradition. L’absinthe qui est renée au début du XXI° siècle garde le souvenir de cette absinthe des XVIII°-XIX° siècles, elle garde aussi le souvenir de la période de diabolisation qui amènera l’interdiction (ce qui n’est ni une gloire ni une honte, c’est juste un épisode dont il faudrait bien se sortir aujourd’hui puisqu’elle vient d’une image qui a été développée par ceux qui n’aimaient pas l’absinthe). Doit-elle se souvenir de sa proto-histoire (médiévale et renaissance) ? À mon avis oui, la très riche tradition des spiritueux absinthés d’avant le XVIII° siècle est absolument incontournable et il serait temps de la connaître et de la reconnaître mieux !
    C’est ainsi que l’absinthe ne se limitera pas à l’image que l’histoire récente a laissé : un apéritif anisé, louche, avec une pointe d’amertume d’absinthe… Elle retrouvera naturellement ses cousines germaines : les Vermouths, les bitters allemands &c…
    Il est remarquable d’ailleurs de voir comme les distillateurs modernes du monde entier essayent de se libérer de cette tradition jurassienne en inventant d’autres goûts, d’autres couleurs, d’autres façons de la déguster…
    Personnellement, dans ma propre production d’absinthe, ma préférée est une absinthe verte (méthode chartreuse) très amère et très peu anisée. Elle ne correspond pas au standard de l’absinthe suisse qui doit avoir un goût d’anis et loucher plus que ma Chandelle Verte ne le fait (mais ce n’est pas ma faute, j’ai mal compris la remarque d’Alfred Jarry qui n’aimait pas l’eau qui troublait son absinthe et j’ai préféré diminuer l’anis vert au profit de la chaleureuse badiane médicinale, de l’agastache anisée, du fenouil…). Pourquoi est-ce que ma Chandelle Verte n’est pas reconnue comme une absinthe en Suisse ? Parce qu’elle ne correspond pas au standard du Val de Travers… Mais le Val de Travers est une tradition locale du Jura !, merveilleuse tradition certes, mais qui ne représente pas « l’absinthe » dans son universalité ! Mais je développerai cette question dans un article consacré à une réflexion sur la question des appellations contrôlées et leurs cahiers des charges.

    En conclusion, je tiens à rappeler que l’absinthe (Artemisia Absinthium) est une plante méditerranéenne de montagnes, endémique dans les Alpes méridionales et en Valais. Elle s’intègre dans une grande tradition de spiritueux anisés/amers méditerranéens qui perdure encore aujourd’hui (ouzos, rakis…) ainsi que dans la tradition des liqueurs médiévales souvent transmises dans les monastères (Liqueur des Chartreux, Eau d’Arquebuse…).
    La boisson a évoluée vers l’apéritif anisé/absinthé connu à la belle époque sous le nom de Fée Verte avec une tradition particulièrement développée dans les Juras suisse et Français, mais pas que.
    C’est cette dernière qui a retrouvé sa gloire au XXI° siècle, en jouant du coude avec son petit cousin, le jeune Pastis, qui avait opportunément pris sa place le temps de son exil au XX° siècle.

    Il serait intéressant de se souvenir que l’Absinthe est riche de toute son histoire et qu’elle pourrait être enrichie encore par de belles rencontres familiales, lors d'un genre de cousinade entre les spiritueux de la famille, et échanger recettes et usagesde la famille… On imagine la Fée Verte partageant ses histoires avec la vieille tante Chartreuse et leur cousin du Liban, un anisé rose-absinthe… Une absinthe libérée de son histoire récente qui retrouverait ses racines… Ce sont peut-être des racines plus profondes qui feront pousser plus haut et voyager plus loin notre Fée Verte internationale…

    Matthieu Frécon, Valais, Printemps 2022.

  • L'alcool neutre

    L’alcool neutre

    I. Le cadre

    Colonne de distillation alcool neutreHistoire
    L’histoire de l’alcool neutre commence avec l’industrialisation de la distillation au XIX° siècle. C’est le siècle du développement technologique, industriel, chimique et agro-chimique. C’est le siècle qui inaugure un nouveau rythme dans la domination de l’homme sur la nature, et sur la féminité. C’est le siècle du progrès qui ne s’arrête pas. La seule résistance à ce progrès industriel conquérant reste l’art, merveilleux au XIX° siècle, l’art soutenue par la dernière fée dans un monde mécanique, la fée verte, l’Absinthe (mais c’est un autre sujet).

    Qu’est-ce que « l’alcool neutre » ?
    Distillateurs et gais buveurs, vous savez que l’arôme, la suavité, la joie de l’eau-de-vie demande du temps. La lenteur de la distillation, de la vieille distillation à repasse par exemple, est la clé du bouquet aromatique. La performance ne remplace pas l’art de vivre. Vivre sa journée de brandevinier qui laisse le temps de sa campagne distiller tranquillement en passant nonchalamment son index dans le filet au prétexte de voir où en sont les coupes, comme d’autres plus malheureux que lui se pinceraient pour vérifier qu’ils ne rêvent pas… Distiller rends philosophe… Pas forcément comme Diogène où l’austère Platon, mais plutôt philosophe comme l’alchimiste, le poète, et le paysan qui rentre tranquillement chez lui un soir de moisson.
    La clé de l’arôme de l’eau-de-vie, c’est le temps de vivre.

    Alors cette idée d’alcool neutre, c’est quoi ? et d’où vient-elle ?
    Elle vient d’une société industrielle qui grignote chaque coin de nature, qui ratiboise le moindre terrain vague. C’est la société pasteurisée, aseptisée. La société qui ne construit pas avec, mais à la place. Celle qui éradique les virus, censure les idées non-progressistes, et à l’époque des moissons, fait rentrer le paysan à minuit dans la cabine de son énorme tracteur au lieu de le laisser rentrer à pied, sa fourche sur l’épaule, au coucher du soleil qui est l’heure de l’apéro.
    L’idée maitresse est l’éloignement de la nature mystérieuse et insaisissable. La déconnexion de l’homme naturellement connecté à sa source pour à la place, le connecter à un monde de chiffres, un monde qui se calcule.

    Et dans le bidon de neutre, il y a quoi ?
    C’est une curieuse expérience que j’ai faite le jour où un ami gérant d’une distillerie géante m’a fait sentir l’un des chefs d’œuvres de la technologie moderne, du 96° (un alcool industriel dit « neutre »). « Ça sent quoi ? me demande t’il ? » Inquiet d’avoir perdu l’odorat et d’avoir été déconnecté du monde olfactif, je devais lui répondre : « Rien… ». J’avais sous le nez un bidon de 25 litres d’alcool à 96° d’origine vinique qui ne produisait aucune odeur. Plus d’odeur, plus de vie… Ceux qui ont eu le covid ces années passées peuvent en témoigner, ne plus sentir provoque un sentiment extrêmement désagréable d’être coupé de quelque chose, un sentiment de manque et qui enlève de la joie.
    L’alcool distillé industriellement à très fort degré (supposément 96% d’éthanol et 4% d’eau, ce qui n’est jamais le cas, nous y reviendrons) et d’une façon très rapide, je devrais dire très brutale, lui enlève tout arôme, je peux dire toute vie.
    L’éthanol industriel à 96° est un pur produit de la société industrielle, et on peut à bon droit le retirer de la catégorie des eaux-de-vie.
    Lorsque la même distillerie essaye de produire une « eau-de-vie », elle va ajouter des « non-alcools », c’est à dire des alcools non-éthyliques, et va ajouter des copeaux de cuivres dans ses méandres pour donner un petit goût de quelque chose. Autrement dit, pour apporter de la vie, le chimiste va apporter des imperfections… Personnellement pour distiller une excellente eau-de-vie (qui ne cherche pas à être parfaite, mais seulement vivante), j’essaye, non pas de rendre mon « produit » bizarre parce que la nature est bizarre, mais riche et surprenant parce que la nature est riche et surprenante. Chacun sa philosophie.

    L’alambic ou la colonne ?
    Le XX° siècle continue le travail de déstructuration de la vie rurale. La destruction systématique des alambics des distilleries amateures ou agricoles (on dirait aujourd’hui artisanales) au profit de distilleries produisant des alcools « neutres » à l’intention de la chimie, de la pharmacie, et des grosses maisons de liquoristerie nous a habitué à l’utilisation de cet alcool sans nature. L’alcool à 90° ou à 96° est devenu l’étalon qui règle toutes les recettes (« …prendre 1 litre d’alcool à 90°, ajouter 1 litre d’eau… ») et toutes les traductions (Dans sa traduction moderne de l’Organon - Hahnemann, 1802 -, Schmidt traduit « Brantwein » (esprit-de-vin) par « alcool à 90° »). Les pharmacies sont devenues les fournisseurs (d’ailleurs clandestins) de tous les liquoristes amateurs et de tous les herboristes. C’est ainsi que alcool est devenu synonyme de alcool à 90°.
    Cet alcool à 90° ou plus ne peut être distillé avec un alambic artisanal, il est le produit de la distillerie moderne équipée de colonnes de distillation sophistiquées. Ces usines ne sont pas gérées par un distillateur indépendant, mais par des sociétés dirigées par des administrateurs qui divisent l’existence en deux catégories : les pertes et les profits. Leur vie elle-même est composé d’une partie consacré à la gagner en travaillant, et à la perdre dans des loisirs artificiels. Leurs ouvriers eux-mêmes sont condamnés à cette division schizophrénique de la vie. Ces gens-là n’ont aucun sens de la vie et de la beauté. Ils ne sont pas capable de créer une culture ou une tradition. Ils ne comprennent pas l’intérêt de passer sa journée à distiller quelques litres d’eau-de-vie tout simplement parce que cela n’a aucun sens pour leur comptable.
    Et ils parlent de « produits ».

    II. En particulier

    Et la neutralité ?
    Revenons à la chose elle-même, l’alcool. Cet alcool, supposément composé d’éthanol pur (ce qui est un leurre : la plupart de ces « éthanols » purs que j’ai redistillés, pour analyse personnelle, comportaient souvent une part d’alcools de queues : propanol, butanol, pentanol…) n’a pas d’odeur. La logique simpliste du liquoriste est que ses spiritueux sont composés de plantes aromatiques qui donnent le bouquet au spiritueux (gin, liqueur &c…). Ce bouquet aromatique ne devrait pas être modifié par un alcool qui aurait déjà un arôme. En gros, l’alcool sert d’excipient, rien d’autre.
    C’est là le leurre.
    Oui, parce que ce n’est pas parce que l’alcool pur encore dans son bidon n’a pas d’odeur qu’il ne réagit pas avec les plantes. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas de personnalité qu’il ne va pas interagir dans la boisson.
    Mettre ses plantes dans un alcool qui n’a rien à dire, c’est comme vivre avec quelqu’un qui n’a rien à dire… Il ne faut pas avoir beaucoup d’estime de soi pour accepter de vivre avec une marionnette sans personnalité…
    De plus, ce n’est pas parce que le goût de la liqueur est supposé n’avoir pas été pollué par le goût de l’alcool que les arômes vont être mis en valeur !
    Enfin, ce n’est pas parce qu’un alcool (je parle ici d’éthanol « pur ») est supposé être neutre au goût qu’il n’a pas une action sur le métabolisme du buveur : la digestion d’abord est modifiée par le type d’alcool et la digestion est très importante dans la qualité de l’ivresse et sur l’alcootest. L’action ensuite de cet alcool sur les récepteurs des neuro-transmetteurs sera également différente selon le type d’alcool (origine : vin, grain, racine ; type de distillation qui structure différemment les molécules alcooliques).
    On peut facilement voir qu’indépendamment des questions de goût, le type d’alcool utilisé aura une influence déterminante sur le spiritueux et sur le buveur.

    Et je n’ai pas parlé de l’éthique dans l’utilisation d’un alcool d’origine industrielle ou d’un autre d’origine artisanale et locale.

    Pourquoi alors utiliser cet alcool qui n’est pas bon ?
    Et bien donc d’abord par facilité, par habitude (c’est devenu une tradition), par peur de devoir changer ses recettes (ce qui est un faux problème, tous les distillateurs qui ont fait le pas vous le diront - et même les quelques parfumeurs qui ont osés alors qu’ils sont d’ordinaires si frileux !.
    Ensuite parce que un litre d’alcool pur (lap) industriel bio ça coûte… entre 3 € et 6 €, alors qu’un artisan distillateur vous demandera au moins 12 € pour un lap d’esprit-de-vin bio nature (hors droits d'accises bien-sûr)… Alors, vous prendrez un petit verre de bio de la société industrielle ou du bio de la ferme ?

    Les solutions (solutions alcooliques évidemmentAbsinthe conilh alcool de vin) Absinthe conilh alcool de vin
    Sur le plan du goût, pour les spiritueux comme sur le plan de la qualité de la vie en couple, il faut trouver le partenaire idéal (Non ! N’abandonnez pas tout de suite ! Pour les spiritueux c’est facile !). Il faut utiliser un alcool bon au goût. Les bons ingrédients sont la base des bonnes recettes. Il faut aussi trouver l’alcool qui saura mettre en valeur les arômes de vos plantes chéries, qui se digèrera facilement, qui saura diriger les vertus médicinales des plantes vers les organes concernés (souvent foie, vésicule biliaire et estomac), et qui saura gérer les effets sur le cerveau (les neuro-transmetteurs). Ça a l’air compliqué comme ça, mais en fait, il y a plusieurs solutions.
    L’alcool de vin (sans soufre) bien distillé dans un alambic en cuivre a un goût souple, discret et facile à fondre dans le mélange. Il est aéré, et très digeste, très facilement assimilé par le cerveau.
    L’alcool de pomme a souvent ces mêmes qualités, avec un petit plus au niveau des neuro-transmetteurs quand il est fait avec des variétés de pommes anciennes.
    L’alcool de grain (bière &c…) est peut-être moins digeste, moins aéré, et contient peut-être des éléments ammoniaqués qui rendent la cuite moins facile à passer… Le goût et l’effet de ce type d’alcool donne toutefois un côté traditionnel au gin qui y est culturellement associé.
    L’alcool de betterave ou de sucre de betterave est pâteux en bouche, lourd à digérer, et produit des cuites assommantes. C’est peut-être celui-ci qu’il faut vraiment éviter !
    D’autres alcools de fruits sont à considérer (la délicieuse canne à sucre par exemple), et ce choix dépendra évidemment de votre lieu de distillation : on distille bien naturellement ce qui pousse autour de chez nous.
    Mais ce qui compte ici finalement, c'est plus la qualité de la matière première (fermière) et la douceur de la distillation (artisanale) que le type de matière première lui-même.
    En fait, pour moi il est important de ne pas considérer que l’intérêt de votre gin ou de votre absinthe sera limité à son goût et qu’il sera composé d’une recette de plantes dissoutes dans un excipient « neutre », mais que l’intérêt de votre spiritueux viendra du mariage heureux entre des plantes choisies et un alcool choisi.
    Le résultat dépassera la simple notion d’arôme pour inclure les notions de santé (digestibilité, voire vertus médicinales), et d’ivresse (ça parle de quoi et c’est quelle est l’ambiance quand on le boit entre potes ?), mais ça, c’est l’objet d’un autre article…

    Le mythe de la « neutralité », entre langue de bois et gueule de bois…
    Alcool pas neutre
    Matthieu Frécon, Suisse, équinoxe de printemps 2022.