anis vert

  • Plaidoyer pour la libération de l’Absinthe

    Plaidoyer pour la libération de l’Absinthe

    Et quoi ? ça y est non ? elle est autorisé l’absinthe maintenant non ?
    En effet, il a été finalement reconnu que la Fée Verte avait eu un mauvais procès au début du XX°, et il a donc été annulé au début du XXI°. Bravo.
    Alors quels sont les conséquences de cette mise en l’exil ?

    Reprenons un peu en amont…
    Ce n’est pas le sujet de cet article que de rappeler la spiritualité de l’absinthe (Dans le domaine des spiritueux, j’emploie facilement « spiritualité » à la place de « mythologie » : Artémis, la fée Viviane, Ste. Bibiane de Rome &c…), ni son importance consolatrice dans la société industrielle naissante. Je voudrais juste rappeler quelques points de son histoire, et les mettre en rapport avec notre façon de la définir aujourd’hui.

    L’absinthe, Artemisia Absinthium, est une plante historiquement importante dans la boisson, et particulièrement dans les boissons alcoolisées, ainsi que dans la pharmacopée. Ces deux domaines sont intimement liés dans l’histoire de la distillation, de la cuisine, et de la pharmacopée depuis leurs débuts dans l’Antiquité. On la trouve dans de nombreuses traditions méditerranéennes, car la grande absinthe est une plante méditerranéenne de montagne. La Méditerranée a toujours été en rapports étroits avec l’Orient et ses traditions culinaires et médicales. Les recettes utilisants les vertus médicinales de l’absinthe, dont des alcools, ont rapidement ajouté le complément naturel de l’absinthe au niveau de la digestion : l’anis vert. En effet, les amers tels que les absinthes ont une action apéritives et digestives par le foie et la vésicule biliaire alors que les anisés (anis vert, badiane, fenouil &c…) agissent plutôt sur l’estomac. Foie, vésicule biliaire, et estomac sont évidemment en relation et l’action de l’un agit sur l’autre. L’association des deux est salutaire au niveau médicinal et il est aisé de jouer sur leur complémentarité. Sur le plan aromatique, l’association des amers du type absinthe et des anisés n’est pas si facile et il est rare de trouver une recette qui offre un bon équilibre entre les deux. En général, l’un domine sur l’autre. Autrefois, les amers étaient plus appréciés qu’aujourd’hui, mais depuis l’introduction du chewing-gum et autres douceurs sucrées de notre société moderne, le palais craint l’amer et l’anis est maintenant presque toujours dominant. Il existe encore pourtant aujourd’hui un souvenir de l’amertume de notre belle plante dans beaucoup d’anisés méditerranéens tels certains ouzos et autres anisettes qui contiennent un soupçon d’Artemisia pour donner la profondeur due à cette grande tradition de spiritueux médicinaux (apéritif et digestif sont des termes médicinaux).
    Il existe une autre piste qui nous rappelle la présence de l’absinthe dans la liquoristerie et qui a contribué à la naissance de l’Absinthe telle qu'on la connut aux XVIII° et XIX° siècles, et depuis son retour au XXI° siècle. Ce sont les liqueurs de la famille des Chartreuses, Arquebuses &c… Je reviendrai dans un futur article sur cette tradition de liqueurs médiévales qui se développeront au XVII° siècle.
    Ces liqueurs (Chartreuse &c…), spiritueux souvent sucrés aujourd’hui mais cela n’a pas toujours été le cas, sont finalement très proches de ce qui deviendra notre Fée Verte. Ils ont un bouquet souvent très riche qui n’est pas construit sur le modèle classique des spiritueux faits d’une plante principale mise en valeur par d’autres plantes secondaires (tels que les modernes spiritueux : pastis, gins, absinthes…) mais ils sont construits sur une synergie complexe aromatique et médicinale. C’est en fait un microcosme en bouteille, une représentation de la nature dans toute sa richesse. Ces recettes contiennent toujours de l’absinthe et ses sœurs botaniques (petite absinthe, c’est l’armoise pontique, de l’arquebuse, c’est l’aurone, ainsi que d’autres : armoise vulgaire, génépi &c…). Si l’on en juge par leur popularité, ces recettes ont forcément eu une influence sur l’évolution de ce que l’on va appeler bientôt l’« Absinthe », notre Fée Verte.

    Alors d’ou vient notre absinthe moderne ? Quel est son blason ?
    L’absinthe qui s’est développé d’une façon très particulière au milieu du XVIII° siècle, particulièrement en France et en Suisse, et plus particulièrement encore dans les deux Juras, est la fille d’une longue tradition. L’absinthe qui est renée au début du XXI° siècle garde le souvenir de cette absinthe des XVIII°-XIX° siècles, elle garde aussi le souvenir de la période de diabolisation qui amènera l’interdiction (ce qui n’est ni une gloire ni une honte, c’est juste un épisode dont il faudrait bien se sortir aujourd’hui puisqu’elle vient d’une image qui a été développée par ceux qui n’aimaient pas l’absinthe). Doit-elle se souvenir de sa proto-histoire (médiévale et renaissance) ? À mon avis oui, la très riche tradition des spiritueux absinthés d’avant le XVIII° siècle est absolument incontournable et il serait temps de la connaître et de la reconnaître mieux !
    C’est ainsi que l’absinthe ne se limitera pas à l’image que l’histoire récente a laissé : un apéritif anisé, louche, avec une pointe d’amertume d’absinthe… Elle retrouvera naturellement ses cousines germaines : les Vermouths, les bitters allemands &c…
    Il est remarquable d’ailleurs de voir comme les distillateurs modernes du monde entier essayent de se libérer de cette tradition jurassienne en inventant d’autres goûts, d’autres couleurs, d’autres façons de la déguster…
    Personnellement, dans ma propre production d’absinthe, ma préférée est une absinthe verte (méthode chartreuse) très amère et très peu anisée. Elle ne correspond pas au standard de l’absinthe suisse qui doit avoir un goût d’anis et loucher plus que ma Chandelle Verte ne le fait (mais ce n’est pas ma faute, j’ai mal compris la remarque d’Alfred Jarry qui n’aimait pas l’eau qui troublait son absinthe et j’ai préféré diminuer l’anis vert au profit de la chaleureuse badiane médicinale, de l’agastache anisée, du fenouil…). Pourquoi est-ce que ma Chandelle Verte n’est pas reconnue comme une absinthe en Suisse ? Parce qu’elle ne correspond pas au standard du Val de Travers… Mais le Val de Travers est une tradition locale du Jura !, merveilleuse tradition certes, mais qui ne représente pas « l’absinthe » dans son universalité ! Mais je développerai cette question dans un article consacré à une réflexion sur la question des appellations contrôlées et leurs cahiers des charges.

    En conclusion, je tiens à rappeler que l’absinthe (Artemisia Absinthium) est une plante méditerranéenne de montagnes, endémique dans les Alpes méridionales et en Valais. Elle s’intègre dans une grande tradition de spiritueux anisés/amers méditerranéens qui perdure encore aujourd’hui (ouzos, rakis…) ainsi que dans la tradition des liqueurs médiévales souvent transmises dans les monastères (Liqueur des Chartreux, Eau d’Arquebuse…).
    La boisson a évoluée vers l’apéritif anisé/absinthé connu à la belle époque sous le nom de Fée Verte avec une tradition particulièrement développée dans les Juras suisse et Français, mais pas que.
    C’est cette dernière qui a retrouvé sa gloire au XXI° siècle, en jouant du coude avec son petit cousin, le jeune Pastis, qui avait opportunément pris sa place le temps de son exil au XX° siècle.

    Il serait intéressant de se souvenir que l’Absinthe est riche de toute son histoire et qu’elle pourrait être enrichie encore par de belles rencontres familiales, lors d'un genre de cousinade entre les spiritueux de la famille, et échanger recettes et usagesde la famille… On imagine la Fée Verte partageant ses histoires avec la vieille tante Chartreuse et leur cousin du Liban, un anisé rose-absinthe… Une absinthe libérée de son histoire récente qui retrouverait ses racines… Ce sont peut-être des racines plus profondes qui feront pousser plus haut et voyager plus loin notre Fée Verte internationale…

    Matthieu Frécon, Valais, Printemps 2022.

  • La vie des Saintes

    La vie des saintes

    Aujourd’hui 2 décembre, c’est la fête : les chrétiens et les païens fêtent Sainte Viviane. Remarquez, à Noël aussi c’est la fête pour tous. C’est bien normal, la plupart des cathédrales ont été construits sur de vieux lieux de cultes païens et la plupart des saints chrétiens sont des versions relookées des vieux héros des panthéons de la nature… Alors Ste. Bibine (sic), martyre romaine du IV° siècle réputée venir en aide pour se refaire quand on a une petite gueule de bois les lendemains de fêtes (« bois » vient ici de boisson, s’il fallait le rappeler et non des bois de Brocéliande par exemple, patrie de la Fée Viviane…) et qui guérit les migraines. Tout ça parce que son nom évoque, en latin, les libations, ou plutôt la beuverie… Ah ! on a parfois le nom pour l’emploi… Donc Bibiane, de Rome, guérit les gueules de bois et les migraines. Fort bien. En plus, la cause de son martyr fût qu’elle ne voulût point se prostituer. Comme la Bien-aimée du Cantique des cantiques qui n’était pas tout à fait d’accord pour que l’on acheta l’amour (Cantique des cantiques VIII. 9)… En somme, ça ressemble encore pas trop mal à Artémis, la déesse farouche et insoumise, qui parrainera la famille botanique des artemisias, les absinthes. Artémis, l’altère-égale de notre Fée je crois.
    Bref, devant un tel blason, il était opportun de faire une sainteté à la compagne de Merlin et il était naturel (dans la mesure ou le christianisme peut être naturel) que Bibiane l’endossa. Bibiane, l’insoumise qui prend les buveurs excessifs en pitié (quel rapport ? aucun, juste un trait de caractère bienveillant). Donc Bibiane, c’est l’incarnation chrétienne de Viviane-Artémis, ces païennes dont on ne sauraient se passer…

    Bon, et les libations alors ?
    Alors avec Viviane, il ne s’agit pas vraiment de libations. Vous savez, cette habitude de verser par terre un peu d’une boisson, alcoolisée de préférence pour le 2 décembre, en l’honneur d’un défunt ou d’un frère envoyé sous les verrous. Non, la Dame du Lac se baigne. Elle a son bain, sa fontaine dans la forêt de Barenton, laquelle parait-il, trois fois par jour, devient glacée, prend une couleur verte et un goût amer… L’histoire est claire et il n’est pas encore question de trouble, ou de louche, dans ce bain. Trois fois par jour, Viviane se baigne dans un bain artémisial…
    Pourquoi croyez-vous que l’Absinthe est la boisson des artistes de la belle époque ? Et bien parce que quand les aficionados de l’OM vomissent leur pastis sur les terrasses des PMUs, et pendant que les parpailloux s’endorment sur leurs bières (le Houblon est un sédatif qui sera préféré à l’absinthe aphrodisiaque pour amériser la bière - la cervoise était une bière antique amérisée à l’absinthe), et bien l’absinthe règne sur la nature farouche. L’absinthe est l’appel de la nature et de la féminité indomptée. C’est l’anima de l’artiste qui s’anime…

    Comment est-on passé du symbole à la réalité physiologique ?
    C’est tout simple. L’absinthe, cette belle plante sauvage est amère. Elle a un effet cholérétique (elle stimule la production de bile), cholagogue (elle purge la bile, et empêche la production de pierres), carminative (elle active l’évacuation des déchets et évacue les gaz intestinaux et stomachaux). C’est aussi un vermifuge connu (les anglais l’appellent wormwood). C’est dire qu’elle aide à la gestion de la digestion et stimule et soutient le foi, ce chef d’orchestre des organes. Le foi régule aussi la joie et la colère. Elle est encore fébrifuge, ce qui est un atout certain pour en faire une boisson médicinale. Du côté du système génital, elle est réputée pour ses vertus de régulation des cycles féminins (Artemis pas pour rien…). Enfin, du côté du cerveau, ceux qui la connaissent savent pourquoi Gauguin (qui s’y connaissait !) peignait des arbres en rose pour appeler son tableau « Les Arbres Bleus ». Les artistes savent voir les choses telles qu’elles peuvent l’être. La Verte, c’est celle que les suisses, quand elle est blanche, appellent « la bleue ». C’est un arc en ciel dans la conscience, une psychée technicolor ! Un peu plus haut encore dans le cerveau il y aurait encore beaucoup à dire et à étudier, comment fonctionne la thuyone par exemple, mais ce soir je n’ose… Voilà notre plante maitresse du vieux monde païen, notre Absinthe…

    Historiquement, celle qui deviendra à l’époque moderne l’apanage des deux Juras est à l’origine une boisson de la famille des anisés méditerranéens. Ces boissons rafraichissantes, digestives, et fébrifuges. Artemisia absinthium elle-même est une plante endémique en méditerranée. L’Orient, toujours cultivé et raffiné, se booste aux épices indiennes et asiatiques. L’anis vert venu d’extrême orient s’est joliment imposé dans ces cultures absinthées. Pas facile d’associer absinthe et anis ! Deux plantes digestives et carminatives, l’une pour le foi, l’autre pour l’estomac, l’une lunaire, l’autre solaire (bien que l’anis aide à la lactation)… Dans les recettes, il n’est pas facile de les marier et, pour des raisons sociologiques complexes qui ne sont pas à l’honneur de notre société moderne, c’est presque toujours l’anis sucré qui domine. L’absinthe devient alors le faire-valoir des boissons anisées. Juste dommage… Société laïque et mécaniste qui ne connait plus ni dieux ni nature ! L’anis est juste assez pour ton néant spirituel ! Société de tubes digestifs, sans foi ni foie…

    Heureusement, aujourd’hui, c’est la Sainte Viviane, fête païenne s’il en est (et bientôt, ce sera la St. Merlin, le 25 je crois), qui mérite bien une petite Verte bien amère ! Alors trinquons à nos Saintes !

    Ps. Il est injuste de parler d’Absinthe sans parler de ses partenaires dans les recettes : Hysope et les sauges, ses sœurs dans la famille des thuyones, la mélisse, les menthes et tant d’autres… les anisées aussi bien-sûr, juste ce qu’il faut… Une prochaine fois…

    Pps. Tant de choses à dire sur l’absinthe que je n’ai pas abordé… Ne croyez pas que j’ai oublié ! Mais d’autres l’ont déjà fait mieux que j’aurais pu le faire moi-même. Par exemple récemment Benoît Noël, Bastien Loukia et Aude Fauvel dans « Sur les ailes de l’Absinthe » une superbe bande dessinée aux éditions BVR 2021.


    Matthieu Frécon, un enfant de chœur de la Sainte Abbée, Sarreyer le 2 décembre 2021.