absinthe
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Plaidoyer pour la libération de l’Absinthe
- Le 01/04/2022
- Dans Technique de distillation des alcools
Plaidoyer pour la libération de l’Absinthe
Et quoi ? ça y est non ? elle est autorisé l’absinthe maintenant non ?
En effet, il a été finalement reconnu que la Fée Verte avait eu un mauvais procès au début du XX°, et il a donc été annulé au début du XXI°. Bravo.
Alors quels sont les conséquences de cette mise en l’exil ?Reprenons un peu en amont…
Ce n’est pas le sujet de cet article que de rappeler la spiritualité de l’absinthe (Dans le domaine des spiritueux, j’emploie facilement « spiritualité » à la place de « mythologie » : Artémis, la fée Viviane, Ste. Bibiane de Rome &c…), ni son importance consolatrice dans la société industrielle naissante. Je voudrais juste rappeler quelques points de son histoire, et les mettre en rapport avec notre façon de la définir aujourd’hui.L’absinthe, Artemisia Absinthium, est une plante historiquement importante dans la boisson, et particulièrement dans les boissons alcoolisées, ainsi que dans la pharmacopée. Ces deux domaines sont intimement liés dans l’histoire de la distillation, de la cuisine, et de la pharmacopée depuis leurs débuts dans l’Antiquité. On la trouve dans de nombreuses traditions méditerranéennes, car la grande absinthe est une plante méditerranéenne de montagne. La Méditerranée a toujours été en rapports étroits avec l’Orient et ses traditions culinaires et médicales. Les recettes utilisants les vertus médicinales de l’absinthe, dont des alcools, ont rapidement ajouté le complément naturel de l’absinthe au niveau de la digestion : l’anis vert. En effet, les amers tels que les absinthes ont une action apéritives et digestives par le foie et la vésicule biliaire alors que les anisés (anis vert, badiane, fenouil &c…) agissent plutôt sur l’estomac. Foie, vésicule biliaire, et estomac sont évidemment en relation et l’action de l’un agit sur l’autre. L’association des deux est salutaire au niveau médicinal et il est aisé de jouer sur leur complémentarité. Sur le plan aromatique, l’association des amers du type absinthe et des anisés n’est pas si facile et il est rare de trouver une recette qui offre un bon équilibre entre les deux. En général, l’un domine sur l’autre. Autrefois, les amers étaient plus appréciés qu’aujourd’hui, mais depuis l’introduction du chewing-gum et autres douceurs sucrées de notre société moderne, le palais craint l’amer et l’anis est maintenant presque toujours dominant. Il existe encore pourtant aujourd’hui un souvenir de l’amertume de notre belle plante dans beaucoup d’anisés méditerranéens tels certains ouzos et autres anisettes qui contiennent un soupçon d’Artemisia pour donner la profondeur due à cette grande tradition de spiritueux médicinaux (apéritif et digestif sont des termes médicinaux).
Il existe une autre piste qui nous rappelle la présence de l’absinthe dans la liquoristerie et qui a contribué à la naissance de l’Absinthe telle qu'on la connut aux XVIII° et XIX° siècles, et depuis son retour au XXI° siècle. Ce sont les liqueurs de la famille des Chartreuses, Arquebuses &c… Je reviendrai dans un futur article sur cette tradition de liqueurs médiévales qui se développeront au XVII° siècle.
Ces liqueurs (Chartreuse &c…), spiritueux souvent sucrés aujourd’hui mais cela n’a pas toujours été le cas, sont finalement très proches de ce qui deviendra notre Fée Verte. Ils ont un bouquet souvent très riche qui n’est pas construit sur le modèle classique des spiritueux faits d’une plante principale mise en valeur par d’autres plantes secondaires (tels que les modernes spiritueux : pastis, gins, absinthes…) mais ils sont construits sur une synergie complexe aromatique et médicinale. C’est en fait un microcosme en bouteille, une représentation de la nature dans toute sa richesse. Ces recettes contiennent toujours de l’absinthe et ses sœurs botaniques (petite absinthe, c’est l’armoise pontique, de l’arquebuse, c’est l’aurone, ainsi que d’autres : armoise vulgaire, génépi &c…). Si l’on en juge par leur popularité, ces recettes ont forcément eu une influence sur l’évolution de ce que l’on va appeler bientôt l’« Absinthe », notre Fée Verte.Alors d’ou vient notre absinthe moderne ? Quel est son blason ?
L’absinthe qui s’est développé d’une façon très particulière au milieu du XVIII° siècle, particulièrement en France et en Suisse, et plus particulièrement encore dans les deux Juras, est la fille d’une longue tradition. L’absinthe qui est renée au début du XXI° siècle garde le souvenir de cette absinthe des XVIII°-XIX° siècles, elle garde aussi le souvenir de la période de diabolisation qui amènera l’interdiction (ce qui n’est ni une gloire ni une honte, c’est juste un épisode dont il faudrait bien se sortir aujourd’hui puisqu’elle vient d’une image qui a été développée par ceux qui n’aimaient pas l’absinthe). Doit-elle se souvenir de sa proto-histoire (médiévale et renaissance) ? À mon avis oui, la très riche tradition des spiritueux absinthés d’avant le XVIII° siècle est absolument incontournable et il serait temps de la connaître et de la reconnaître mieux !
C’est ainsi que l’absinthe ne se limitera pas à l’image que l’histoire récente a laissé : un apéritif anisé, louche, avec une pointe d’amertume d’absinthe… Elle retrouvera naturellement ses cousines germaines : les Vermouths, les bitters allemands &c…
Il est remarquable d’ailleurs de voir comme les distillateurs modernes du monde entier essayent de se libérer de cette tradition jurassienne en inventant d’autres goûts, d’autres couleurs, d’autres façons de la déguster…
Personnellement, dans ma propre production d’absinthe, ma préférée est une absinthe verte (méthode chartreuse) très amère et très peu anisée. Elle ne correspond pas au standard de l’absinthe suisse qui doit avoir un goût d’anis et loucher plus que ma Chandelle Verte ne le fait (mais ce n’est pas ma faute, j’ai mal compris la remarque d’Alfred Jarry qui n’aimait pas l’eau qui troublait son absinthe et j’ai préféré diminuer l’anis vert au profit de la chaleureuse badiane médicinale, de l’agastache anisée, du fenouil…). Pourquoi est-ce que ma Chandelle Verte n’est pas reconnue comme une absinthe en Suisse ? Parce qu’elle ne correspond pas au standard du Val de Travers… Mais le Val de Travers est une tradition locale du Jura !, merveilleuse tradition certes, mais qui ne représente pas « l’absinthe » dans son universalité ! Mais je développerai cette question dans un article consacré à une réflexion sur la question des appellations contrôlées et leurs cahiers des charges.En conclusion, je tiens à rappeler que l’absinthe (Artemisia Absinthium) est une plante méditerranéenne de montagnes, endémique dans les Alpes méridionales et en Valais. Elle s’intègre dans une grande tradition de spiritueux anisés/amers méditerranéens qui perdure encore aujourd’hui (ouzos, rakis…) ainsi que dans la tradition des liqueurs médiévales souvent transmises dans les monastères (Liqueur des Chartreux, Eau d’Arquebuse…).
La boisson a évoluée vers l’apéritif anisé/absinthé connu à la belle époque sous le nom de Fée Verte avec une tradition particulièrement développée dans les Juras suisse et Français, mais pas que.
C’est cette dernière qui a retrouvé sa gloire au XXI° siècle, en jouant du coude avec son petit cousin, le jeune Pastis, qui avait opportunément pris sa place le temps de son exil au XX° siècle.
Il serait intéressant de se souvenir que l’Absinthe est riche de toute son histoire et qu’elle pourrait être enrichie encore par de belles rencontres familiales, lors d'un genre de cousinade entre les spiritueux de la famille, et échanger recettes et usagesde la famille… On imagine la Fée Verte partageant ses histoires avec la vieille tante Chartreuse et leur cousin du Liban, un anisé rose-absinthe… Une absinthe libérée de son histoire récente qui retrouverait ses racines… Ce sont peut-être des racines plus profondes qui feront pousser plus haut et voyager plus loin notre Fée Verte internationale…Matthieu Frécon, Valais, Printemps 2022.
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Limpidités sur notre Fée Verte… (Benoît Noël)
- Le 04/01/2022
- Dans Dépêches à la ligne
Ouest-France, 24 décembre 2021
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La vie des Saintes
- Le 03/12/2021
- Dans Dépêches à la ligne
La vie des saintes
Aujourd’hui 2 décembre, c’est la fête : les chrétiens et les païens fêtent Sainte Viviane. Remarquez, à Noël aussi c’est la fête pour tous. C’est bien normal, la plupart des cathédrales ont été construits sur de vieux lieux de cultes païens et la plupart des saints chrétiens sont des versions relookées des vieux héros des panthéons de la nature… Alors Ste. Bibine (sic), martyre romaine du IV° siècle réputée venir en aide pour se refaire quand on a une petite gueule de bois les lendemains de fêtes (« bois » vient ici de boisson, s’il fallait le rappeler et non des bois de Brocéliande par exemple, patrie de la Fée Viviane…) et qui guérit les migraines. Tout ça parce que son nom évoque, en latin, les libations, ou plutôt la beuverie… Ah ! on a parfois le nom pour l’emploi… Donc Bibiane, de Rome, guérit les gueules de bois et les migraines. Fort bien. En plus, la cause de son martyr fût qu’elle ne voulût point se prostituer. Comme la Bien-aimée du Cantique des cantiques qui n’était pas tout à fait d’accord pour que l’on acheta l’amour (Cantique des cantiques VIII. 9)… En somme, ça ressemble encore pas trop mal à Artémis, la déesse farouche et insoumise, qui parrainera la famille botanique des artemisias, les absinthes. Artémis, l’altère-égale de notre Fée je crois.
Bref, devant un tel blason, il était opportun de faire une sainteté à la compagne de Merlin et il était naturel (dans la mesure ou le christianisme peut être naturel) que Bibiane l’endossa. Bibiane, l’insoumise qui prend les buveurs excessifs en pitié (quel rapport ? aucun, juste un trait de caractère bienveillant). Donc Bibiane, c’est l’incarnation chrétienne de Viviane-Artémis, ces païennes dont on ne sauraient se passer…Bon, et les libations alors ?
Alors avec Viviane, il ne s’agit pas vraiment de libations. Vous savez, cette habitude de verser par terre un peu d’une boisson, alcoolisée de préférence pour le 2 décembre, en l’honneur d’un défunt ou d’un frère envoyé sous les verrous. Non, la Dame du Lac se baigne. Elle a son bain, sa fontaine dans la forêt de Barenton, laquelle parait-il, trois fois par jour, devient glacée, prend une couleur verte et un goût amer… L’histoire est claire et il n’est pas encore question de trouble, ou de louche, dans ce bain. Trois fois par jour, Viviane se baigne dans un bain artémisial…
Pourquoi croyez-vous que l’Absinthe est la boisson des artistes de la belle époque ? Et bien parce que quand les aficionados de l’OM vomissent leur pastis sur les terrasses des PMUs, et pendant que les parpailloux s’endorment sur leurs bières (le Houblon est un sédatif qui sera préféré à l’absinthe aphrodisiaque pour amériser la bière - la cervoise était une bière antique amérisée à l’absinthe), et bien l’absinthe règne sur la nature farouche. L’absinthe est l’appel de la nature et de la féminité indomptée. C’est l’anima de l’artiste qui s’anime…Comment est-on passé du symbole à la réalité physiologique ?
C’est tout simple. L’absinthe, cette belle plante sauvage est amère. Elle a un effet cholérétique (elle stimule la production de bile), cholagogue (elle purge la bile, et empêche la production de pierres), carminative (elle active l’évacuation des déchets et évacue les gaz intestinaux et stomachaux). C’est aussi un vermifuge connu (les anglais l’appellent wormwood). C’est dire qu’elle aide à la gestion de la digestion et stimule et soutient le foi, ce chef d’orchestre des organes. Le foi régule aussi la joie et la colère. Elle est encore fébrifuge, ce qui est un atout certain pour en faire une boisson médicinale. Du côté du système génital, elle est réputée pour ses vertus de régulation des cycles féminins (Artemis pas pour rien…). Enfin, du côté du cerveau, ceux qui la connaissent savent pourquoi Gauguin (qui s’y connaissait !) peignait des arbres en rose pour appeler son tableau « Les Arbres Bleus ». Les artistes savent voir les choses telles qu’elles peuvent l’être. La Verte, c’est celle que les suisses, quand elle est blanche, appellent « la bleue ». C’est un arc en ciel dans la conscience, une psychée technicolor ! Un peu plus haut encore dans le cerveau il y aurait encore beaucoup à dire et à étudier, comment fonctionne la thuyone par exemple, mais ce soir je n’ose… Voilà notre plante maitresse du vieux monde païen, notre Absinthe…
Historiquement, celle qui deviendra à l’époque moderne l’apanage des deux Juras est à l’origine une boisson de la famille des anisés méditerranéens. Ces boissons rafraichissantes, digestives, et fébrifuges. Artemisia absinthium elle-même est une plante endémique en méditerranée. L’Orient, toujours cultivé et raffiné, se booste aux épices indiennes et asiatiques. L’anis vert venu d’extrême orient s’est joliment imposé dans ces cultures absinthées. Pas facile d’associer absinthe et anis ! Deux plantes digestives et carminatives, l’une pour le foi, l’autre pour l’estomac, l’une lunaire, l’autre solaire (bien que l’anis aide à la lactation)… Dans les recettes, il n’est pas facile de les marier et, pour des raisons sociologiques complexes qui ne sont pas à l’honneur de notre société moderne, c’est presque toujours l’anis sucré qui domine. L’absinthe devient alors le faire-valoir des boissons anisées. Juste dommage… Société laïque et mécaniste qui ne connait plus ni dieux ni nature ! L’anis est juste assez pour ton néant spirituel ! Société de tubes digestifs, sans foi ni foie…Heureusement, aujourd’hui, c’est la Sainte Viviane, fête païenne s’il en est (et bientôt, ce sera la St. Merlin, le 25 je crois), qui mérite bien une petite Verte bien amère ! Alors trinquons à nos Saintes !
Ps. Il est injuste de parler d’Absinthe sans parler de ses partenaires dans les recettes : Hysope et les sauges, ses sœurs dans la famille des thuyones, la mélisse, les menthes et tant d’autres… les anisées aussi bien-sûr, juste ce qu’il faut… Une prochaine fois…
Pps. Tant de choses à dire sur l’absinthe que je n’ai pas abordé… Ne croyez pas que j’ai oublié ! Mais d’autres l’ont déjà fait mieux que j’aurais pu le faire moi-même. Par exemple récemment Benoît Noël, Bastien Loukia et Aude Fauvel dans « Sur les ailes de l’Absinthe » une superbe bande dessinée aux éditions BVR 2021.
Matthieu Frécon, un enfant de chœur de la Sainte Abbée, Sarreyer le 2 décembre 2021. -
Sur les Ailes de l'Absinthe
- Le 22/11/2021
- Dans Annonces, livres, stages…
Sur les ailes de l’Absinthe, voyage en 24 dimensions
Par Benoît Noël et Bastien, introduction par Aude Fauvel, BVR éditionsCe qui est bien avec l’absinthe, c’est la créativité infinie qui l’accompagne… ça tombe bien pour Benoît Noël qui est un écrivain des plus créatifs et des plus raffinés quand il s’agit de chanter l’absinthe avec la sensibilité que l’on doit à la Fée Muses des Arts de la Belle Époque…
Ici, c’est sous un forme de BD que Benoît (à la plume) et son ami Bastien Loukia (au pinceau) font le panorama de l’épopée verte depuis sa préhistoire, son histoire mythique, jusqu’à nous.
Il était nécessaire de remonter jusqu’aux mythes antiques pour comprendre la profondeur de celle que l’on ne sais apprécier que trouble…
24 pages (en fait 95) d’histoire essentielle comme un extrait d’absinthe, verte et pourtant mure, pour sortir des clichés parce que la réalité de l’absinthe est plus belle que le fantasme que nous entretenons parfois un peu facilement (l’image démoniaque développée par ses détracteurs au début du XX°s.), 24 dimensions de plaisir suggestif et enivrant qui nous aide à croire que certaines plantes ont des vertus magiques qui pourraient nous aider à devenir plus créatif…
En plus, ça commence par une introduction lapidaire et salvatrice sur le rôle de bouc émissaire qui fût donné à la Fée Verte par Aude Fauvel, qui est une spécialiste des rapports entre médecine, psychiatrie, et société de l’université de médecine de Lausanne.Sur les ailes de l'Absinthe, par Benoît Noël et Bastien Loukia, préface Aude Fauvel.
BVR éditions, 19 €http://bnoel.herbaut.de/sur-les-ailes-de-labsinthe-voyage-en-24-dimensions/
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Faire son absinthe maison, une jolie émission chez nous en Valais…
- Le 04/06/2021
- Dans Dépêches à la ligne
Faire son absinthe amateure en Valais…
Une jolie émission de Ainhoa Ibarolla pour la RTS avec votre serviteur (ou plutôt, le serviteur de la Fée Verte…)
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De la recette du "tremblement de terre" de Toulouse-Lautrec par Benoît Noël
- Le 26/03/2020
- Dans Dépêches à la ligne
De la recette exacte du « cocktail » Tremblement de terre de Henri de Toulouse-Lautrec
Par Benoît NoëlVoilà, douze ans, je répondais à David Nathan-Maister, m’interrogeant sur la composition exacte du fameux Tremblement de terre, concocté par Henri de Toulouse-Lautrec, que la meilleure source était la remarquable biographie de Henri Perruchot. Néanmoins, celui-ci se référait à un ami de Lautrec, Achille Astre, lui-même auteur d’un livre rare qui vient enfin de me tomber sous la main.
Vers 1895, la gentry fin-de-siècle de l’hexagone s’entiche des cocktails et un de ses plus célèbres adeptes est le peintre Henri de Toulouse-Lautrec qui balance entre expérimentation radicale et science du dosage… (lire la suite)
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Préparer son absinthe
- Le 04/03/2020
- Dans Distillerie de Bagnes/Edelweiss Distillerie
Hier soir, nous fêtions je ne sais plus quoi, et comme il est l’usage, le champagne était au cœur du rituel. Et comme il est de mon usage dans ces cas là, je n’ai pas résisté à aromatiser mes bulles de l’esprit vivian : une petite dose de Chandelle Verte au fond de la flute. J’ai pris goût, grands dieux ! à ces cocktails modernes et il est peut-être temps de faire le point sur les bonnes et les mauvaises façons de boire mon alcool préféré : l’Absinthe.
Les bonnes et les mauvaises façons de préparer sa Verte ou sa Bleue…
Alors, on va partir du fait que l’Absinthe, le spiritueux, ne naît pas du jour au lendemain dans le laboratoire d’un savant fou du Val de Travers ou d’ailleurs, mais qu’elle est le fruit d’une longue tradition de préparations d’élixirs-spiritueux de plantes qui ont pour mission de soutenir le moral et réparer le corps. Ce sont des alcools fait pour le corps autant que pour l’esprit. L’Absinthe - Artemisia Absinthium - étant une plante médicinale majeure, elle est présente dans de très nombreuses recettes depuis les temps (et les régions) les plus reculés.
Avant que n’apparaisse l’apéritif que l’on désigne sous le nom d’Absinthe ou Fée Verte qui se développera en Suisse et en France au XIX° siècle, il était l’usage de faire des alcools forts que l’on buvaient allongés d’eau. C’est l’origine de la première version de cette préparation, assez primitive, que l’on rencontre encore dans les régions les plus traditionalistes comme le Jura par exemple et un peu partout depuis le développement du pastis et de l’Olympique Marseille (qui n’est pas un spiritueux).
C’est ainsi que les jurassiens boivent encore leur Bleue : la liqueur blanche est allongée d’eau dans un grand vert, l’anis contenu révèle son caractère louche et l’affaire est réglée.
C’est la version 1 du rituel de l’absinthe.
La Belle Époque parisienne doit son nom à un mélange détonnant entre une culture artistique merveilleuse qui apparait dans un contexte social abominable. C’est ainsi que l’alcoolisme se développe et contribuera à la perte de notre muse apéritive, et c’est en même temps sous son influence qu’accoucheront les plus belles œuvres artistiques qui chanteront les louanges d’Artemis, la vierge farouche et redoutable, la féminité nécessaire aux artistes et aux ouvriers de la nouvelle société sans âme (au tournant du XX° siècle, pas la société sans âme du tournant du XXI° siècle laquelle rappellera la Fée à son secours en 2005).
Cette magnifique société est festive et l’exposition universelle de Paris en 1889 verra l’érection de la tour Eiffel et probablement l’invention de la cuillère percée (en forme de tour Eiffel), qui deviendra rapidement l’accessoire emblématique du rituel de l’absinthe.
Il est dorénavant officiel que la Fée Verte se prépare avec cette « pelle » qui soutient le sucre qui se trouve alors au-dessus de la liqueur. Il reste à la « fontaine à Absinthe » le soin de faire couler les gouttelettes d’eau fraiche sur le sucre pour que le sirop vienne adoucir l’amertume de l’apéritif. Ce rituel d’esthètes semble avoir été élaboré pour des raisons de marketing dans le but de faire boire ces dames des bistrots parisiens pour la parité dans l’ivresse…
Cette version 2 du rituel de l’Absinthe est indéniablement la plus répandue. C’est la façon officielle de bien préparer une absinthe quand on a de l’éducation et que son amertume demande un sucrage, ce qui n’est pas toujours nécessaire avec les modernes et doucereux pastis à l’absinthe du commerce courant actuel.
Cette belle époque et sa bohème pouilleuse aux loques pleines de taches de peinture à l’huile ou d’encres indélébiles laisseront à la Fée Verte la réputation de Muse des Artistes. A-t’il jamais existé une telle entente entre cette bohème inspirée de ces poètes et peintres miséreux et un alcool ? un esprit ? L’union a été parfaite. C’était Héloïse et Abelard, c’était Viviane et Merlin, ou Salomon (dans le rôle de la verte) et la Sulamite (dans le rôle des Rimbauds)…
Les poètes de la belle époque ont bel et bien disparus avec Elle, c’est un fait, et la poésie trouvera quand-même d’autres esprits consolateurs pour survivre.
Mais la disparition de la Fée Verte laissera une petite amertume que l’on n’oubliera pas. Ainsi, dans les années 60’, à la suite des Burroughs et des Kerouac, les poètes maudits d’outre-atlantique retourneront en Bohème chercher l’esprit de Montparnasse (la géographie n’est pas une science exacte en Amérique…) et, dans un tchèque approximatif, les poètes ricains tenteront de retrouver l’absinthe dans les zincs praguois… « Pas de problèmes » répondent les tôliers tchèques, « Revenez demain ! ». C’est ainsi que la Fée Verte est revenue dans les bars et est devenue la nouvelle héroïne des clochards célestes aux pays de l’étoile rouge. C’est d’ailleurs la blanche, la vraie blanche, l’héroïne, de ces petits-enfants américains de Rimbaud qui inspirera un nouveau rituel à la Verte de l’ancien monde : l’Absinthe flambée.
Vous n’avez jamais préparé d’héroïne ? pas grave, ce n’est pas nécessaire. Ici, c’est l’Absinthe qu’il faut verser sur le sucre (qui est encore posé sur sa cuiller percée), enflammer ce sucre dégoulinant. C’est bientôt le verre tout entier qui sera enflammé, et puis lorsque le sucre commencera à caraméliser. Il reste à éteindre l’incendie avec de l’eau fraiche. Le procédé est spectaculaire et le résultat intéressant pour le goût caramélisé caractéristique… La motivation qui a animé l’invention de ce nouveau procédé possède une certaine noblesse (plus que le but mercantile et publicitaire qui est à l’origine du rituel de 1889 en tous cas, on doit le reconnaitre…) et ce rituel barbare qui évoque plus le cirque américano-romain que la fontaine de Barenton à Brocéliande (le site de Viviane) mérite toute notre attention. Je vous invite à l’essayer si vous ne l’avez déjà fait.
C’est la version 3 du rite de l’Absinthe.
Ps. Lisez Dale Pendell, le poète des plantes psychotropes et inventeur de recettes d’Absinthes de cette époque en sirotant votre Fairy.
Comment choisir ?
Votre accent jurassien ou marseillais trahit votre goût pour une tradition simple, sans fioritures : c’est la version 1 qui vous laissera siroter tranquillement votre anisée haute en couleur.
Vous avez besoin de temps pour faire les choses, pour les laisser apparaitre dans votre Jacqueline : optez pour une préparation longue sous la Fontaine. Version 2.
Vous voulez attirer l’attention dans un bistrot et vous ne craignez pas d’être expulsé manu-militari comme un pyromane irresponsable : Osez la version 3 du rituel sans hésiter !
En fait, les rituels sont multiples, mais les absinthes aussi… entre les Bleues du Val de Travers qui sont hérités du breuvage du XVIII°/XIX° siècle, pas assez amères pour avoir besoin de sucre et que l’on boit donc simplement allongées d’eau comme un vulgaire Ricard (rituel 1) ; entre la Vertu amère de l’Absinthe Belle Époque parisienne qui demande d’être adoucie d’un sirop pour révéler toute sa profondeur aromatique (rituel 2) ; ou encore la brutalité du monde moderne qui s’exprime dans les Absinthes ayant souffert de la prohibition, Absinthes brutes aux arômes simples et fumés et excessivement anisées en provenances des moonshiners de la Nouvelle Orléans ou des industries d’Europe centrale ou d’Espagne, Absinthes élevées au Jazz bien sûr (rituel 3), chaque absinthe a son rituel… Vous avez le choix…
Voici les bonnes façons de préparer l’Absinthe (1 & 2), et la mauvaise (3). Voici la tradition.
Alors les buveurs d’absinthes sont devenus traditionalistes ? Le traditionaliste n’apparait pas avec la tradition mais il la créé quand il n’a plus d’autres idées, quand il n’a plus rien d’autre à faire… Tant que la créativité vit, la tradition attends son heure. Quand l’époque n’est plus créative, elle peut devenir traditionaliste. C’est peut-être un peu le cas pour l’Absinthe qui vit une renaissance timide.
Nous chercherons plus tard les raisons qui font que l’Absinthe n’est apparemment plus la Muse des artistes et des créateurs, pour l’heure je voudrais juste rappeler qu’il existe mille façons de préparer son Absinthe. Le rituel est important en ce qu’il permet de relier la boisson avec un élément de sa vie. Il permet de transformer un alcool en un esprit. À chaque alcool son esprit, et son rituel…
Hier soir donc, je buvais mon Absinthe-champagne (une Chandelle Verte très amère) comme Alfred de Musset buvait son Absinthe-cognac… À l’arrivée des premières neiges, je règle ma Verte à la neige saupoudrée de sucre en poudre, ça fait penser à une pâtisserie !
Il existe aussi des gourmets qui ont une science très précise du louche (action de préparer son absinthe pour la faire loucher, c’est-à-dire troubler) tel mon ami René Wanner (Distillerie Absintissimo à Genève et dans le Val-de-Travers) dont j’admire particulièrement la « 68…Harde » qu’il prépare ainsi : en apéritif : 1 dose d’Absinthe pour 2 à 3 parts d’eau (comme notre propre « Étoile d’Argent »), mais en digestif il faut : « Faire tomber quelques gouttes d’eau dans un verre d’absinthe » (il faut voir René préparer sa Bleue et vous comprendrez ce que le mot rituel veut dire !).
Pour finir, le chemin de l'Absinthe, le vrai, qui mène à notre distillerie de Sarreyer en Valais…
Matthieu Frécon, Edelweiss Distillerie, Sarreyer. Mars 2020
Sources : Benoit Noel, René Wanner, Dale Pendell…
Photos, de haut en bas : Van Gogh, Absinthe Champagne (MF), La discrète du Val de Travers (Marc Thuillier), Une partie de pêche (circa 1900), Absinthe Flambée (MF), Quel rituel pour celle-ci ? Awen Nature, Les Chandelles Vertes (Benoît Noël/MF), René Wanner, Le chemin de la Tuaille, qui mène à notre distillerie… (MF).https://edelweiss-distillerie.ch/
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Exploitation Agricole
- Le 17/09/2019
- Dans Dépêches à la ligne
Exploitation agricole
S’il est un titre qui devrait être un objet de fierté, et qui est aujourd’hui un objet de mépris de la part de ceux qui sont concernés, c’est bien le terme de paysan. La modernité et le langage hexagonal lui préfère celui d’exploitant agricole. Le paysan n’est plus l’habitant du pays et celui qui fait vivre le pays, mais celui qui exploite le sol et ses animaux.
Dans la Suisse qui m’accueille maintenant, le paysan est encore content de l’être et depuis sa ferme, revendique sans honte ce mot charmant et un peu désuet. Le paysan français est encore trop complexé pour revendiquer l’appellation qu’il n’utilise parfois et qu’entre amis.Notre distillerie (Edelweiss Distillerie à Sarreyer en Valais), est une ferme, une ferme sans bétail certes, mais on y élève des plantes, et les plantes nous élèvent… Nul relation d’exploitation avec elles, elles semblent le savoir ainsi que nous le dit cette belle absinthe qui a choisit de pousser devant le réfrigérant de notre petite repasse (un petit alambic qui sert aux petits travaux et à la spagyrie). Cette Artemisia absinthium ainsi que la nomme les savants nous offre les plus belles feuilles de la région, réllement, c’est la plante qui offre les plus belles et les plus grandes feuilles de l’endroit.
Je prend bien soin de ne pas l’abimer quand je distille autour, au contraire, on converse tous les deux… On est très très honorés par sa présence altière et aromatique chez nous, ou plutôt très honorés qu’elle nous reçoive chez elle dans une si belle tenue…Ici, nulle exploitation agricole, non merci !
la prochaine fois, je vous parlerai de l’exploitation des humains par les plantes… un vrai sujet !
Matthieu Frécon, Sarreyer, équinoxe d’automne 2019
Ci-dessous, le chemin qui mène à la distillerie, entièrement couvert d'absinthes…
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Conférence de Benoît Noël sur l'Absinthe
- Le 27/04/2018
- Dans Annonces, livres, stages…
Le dimanche 13 mai 2018 à 18h30
Benoît NOËL prononcera la conférence L’Absinthe, Muse des Peintres
au Château de la Berrière à Barbechat (Loire-Atlantique)
à l’invitation et au profit de l’Association des Amis du Château de la Berrière
Droit d'entrée à la conférence : 6 €
Plante médicinale, élixir régénérateur puis apéritif à la réputation sulfureuse, l'absinthe subjugue. Née en 1797 dans le Jura franco-suisse, la « liqueur d'absynthe » (68 à 72°) de la Mère Henriod a séduit le monde entier avant d'être interdite, en France, en 1915. De nos jours, les rumeurs les plus contradictoires circulent toujours à son sujet. La « Fée verte » rendait-elle fou ou génial ? Réautorisée, en a-t-on retiré les substances nocives ? Muse d’essence paradoxale, l’absinthe ne semble avoir inspiré que des œuvres d’art, à sa gloire, tant celles la présentant sous un jour sombre fascinent davantage encore que celles la flattant. Oui, un peu de « Bitter du Jura » étrille le Mozart qui sommeille en vous et trop l’assassine. Oui, il existe, un génie du flacon jusqu'à un certain point, mais il n’y a pas de Dieu des ivrognes ! Cette conférence passe au crible ces questions via les chefs-d’œuvre de la peinture signés André Gill, Félicien Rops, Édouard Manet, Steinlen, Paul Gauguin, Edgar Degas, Albert Maignan, Toulouse-Lautrec, Forain, Van Gogh, Kees Van Dongen, Modigliani ou Pablo Picasso.
Benoît Noël : - « Apéritif né de la macération et de la distillation de plantes toniques, l’absinthe est une boisson particulièrement revigorante. Son arôme réveille votre nez, ses teintes mêlées semblent réfraction de gemmes et sa fraîcheur surprend la langue avant que ne se déroule sur le palais, le somptueux bouquet d’anis complémentaires relevé par la pointe d’âcreté de la plante absinthe, elle-même. À l’image de la vie, la Fée verte conjugue le doux et l’amer, le miel et le fiel. Il va sans dire que l’abus escamote ces effets positifs mais le rite précieux qui engage à redistiller patiemment dans le verre à pied, ce nectar des Dieux, via l’adjonction de cinq fois son volume d’eau et au travers d’une cuillère ajourée, engage naturellement à le consommer avec dilection et épicurisme, distinction et modération »…
Le conférence sera suivie d’une dégustation d’absinthe, boisson à consommer donc avec modération.
Benoît NOËL dédicacera son livre : A comme Absinthe – Z comme Zola - L’abécédaire de l’absinthe.
On trouvera dans l’excellent Forum du Musée virtuel de l’absinthe, une présentation du Château de la Berrière en une chronique intitulée Une journée de l’absinthe à réitérer.
http://www.museeabsinthe.com/forums/index.php?s=34ffcc7d84094321b5cde2ba398fa42f&showtopic=3056
PS. Benoît Noël est l'auteur de pas mal des plus beaux passages de mon livre "L'Alambic, l'Art de la Distillation" (qui vient de ressortir dans sa 3° édition) (MF).